L'avers et le revers
stratégie
d’enveloppement et d’enfarinage de la Maligou.
— On ne pourra pas dire, Samson, dit-il avec une pointe
de gausserie dans la voix, que nous n’avons pas tout tenté pour convaincre ceux
du dehors de suivre l’avis de la Maligou.
— Oui, Pierre, répondit Samson simplement, j’en
témoignerai au besoin.
De cette surprenante parole de Samson, je ne sus jamais quoi
en penser, ni s’il était entré dans la comédie de Pierre et du baron ou s’il
causait avec sincérité, mais je penche pour la seconde hypothèse, les
tortueuses manœuvres et ruses lui étant tout à plein déconnues et peu
susceptibles de se loger dans l’incrédible rectitude de son âme.
Il n’y eut point matière à discuter plus avant avec le
domestique qui, fort à son détriment et donc à rebelute, se rangea aux
nouvelles obligations de sécurité. Celles-ci guère longtemps ne durèrent, car
d’incidents il n’y en eut point, et oncques ne revit ces gueux loqueteux et
misérables qui faillirent ôter la vie au baron en le chemin de Marcuays. Il
sembla que ce fût comme un ultime soubresaut de ces troubles qui s’achevaient,
et nous fûmes vite convaincus que le pays en était débarrassé et qu’une ère
nouvelle venait à s’ouvrir.
De mon côtel, je ne fus pas sans ressentir un certain
malaise suite à cet épisode où la Maligou avait endossé la parole des autres,
car je m’aperçus que ma place, qui au naturel aurait dû se trouver près de ceux
de ma condition, s’en était trouvée prou éloignée, et que j’avais été
spectateur de la querelle, sinon allié des maîtres. Certes, peu s’étaient
exprimés en l’occasion, et mes pensées équivoques n’avaient en rien affleuré,
mais il ne fallait pas travailler trop à l’imaginative pour deviner l’opinion
de tous, laquelle épousait fortement celle de la Maligou et de Faujanet.
Il en est ainsi du valet qui, proche des maîtres, et ayant à
les servir et même à les seconder, est embarqué maugré lui sur le même navire.
Et que faisais-je donc à visiter Coulondre, Cabusse et Jonas ce matin-là, sinon
prêter la main à la ruse de mon maître afin que de clore le bec du domestique
et imposer la volonté du baron ? Je m’y apensai souvent dans les jours qui
suivirent, et n’en fus pas bien heureux, me trouvant écartelé entre mes deux
fidélités, l’une à mon état de naissance, paysan pauvre et laborieux, et l’autre
à mes maîtres à qui je devais tout, le gîte, le couvert et une situation
enviable.
Cette contradiction jamais ne l’ai résolue de ma vie et elle
me pesa continûment, comme un fardeau dont je ne pouvais mie me débarrasser,
étant trop touché par la misère des pauvres gens qui tant pénétrait en mon
cœur, mais sans pouvoir y apporter l’appui qui m’aurait soulagé. Que le lecteur
me pardonne cet état d’âme qui certainement l’ennuie, car il ne le peut
comprendre, à moins d’y avoir été sujet lui-même, ce dont je doute. Il est une
pensée de la Bible qui s’y applique : celle de la croix que chacun porte,
étant entendu que la sienne croix reste obscure à autrui, chacune étant d’une
confection propre et unique.
Dès le surlendemain, je confiai à Margot mon tourment. Nous
étions demi-nus en la grange, rencoignés au plus profond de la paille, tout
plaisir bu et d’amour gorgé, et elle me biscottait tendrement, caressant mes
flancs d’une douce et sensuelle manière. Comme je la lui racontais, elle
s’esbouffa fort de cette enfarinade de la Maligou par mon maître, mais quand
j’eus dit ma râtelée sur mes états d’âme, elle s’en gaussa et me considéra avec
étonnement.
— D’où te viennent donc ces sinueuses pensées, me
dit-elle, et comment de telles tortures du cœur peuvent naître en ta
cervelle ?
— Mais point ne commande à mon âme ! répondis-je
un peu piqué de sa réaction.
— Eh bien, tu le devrais ! affirma-t-elle avec
autorité.
Je me tiens coi un moment, très marri du peu de
considération accordée à ma mélanconie et, chagrin, je repoussai même sa main,
laquelle s’enhardissait vers des contrées de mon corps qui, à coup sûr,
auraient trahi et bafoué ma détresse. Margot bouda, mais peu de temps car ce
n’était pas dans ses façons, et revenant à la charge, elle me bailla un baiser
si vif que je ne pus l’esquiver.
— C’est ton œil triste qui te tourmente, fit-elle en
souriant, et moi je ne veux avoir affaire qu’à celui qui
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