L'avers et le revers
considérais car il était tant grand et fort
qu’il semblait, le buste nu et tout suant, tel le Vulcain des images au fond de
sa forge.
— Et des boutisses en saillie pour la défense, vous en
voulez ? ajouta-t-il après avoir vidé son verre cul sec.
— Des boutisses en saillie, mon bon Jonas ?
— Au sommet de votre mur, côté assaillants, ce serait
des pierres placées en débord et en léger dévers. Ça rend plus ardu de grimper
le mur.
— Oui, mais ça offre aussi une protection contre nos
tirs pour celui qui a atteint le mur.
— Pour sûr. C’est comme vous voulez, Moussu Pierre, et puis
c’est de la pierre en plus…
Il se resservit encore un verre.
— Et sans vouloir offenser M. de Sauveterre,
il y aura de la main-d’œuvre ?
J’y vis là une certaine malice contre Sauveterre et son côté
chiche-face car les bras coûtaient cher et la dépense n’y serait pas petite.
— Jonas, cuides-tu que mon père te laisserait faire
tâche pareille à la solitaire ?
— Ce n’est pas que je rechigne à la besogne, mais seul
il y faudrait des années à tailler et assembler tout ça, et si vous êtes
pressés…
— Mon père payera bien une dizaine de drôles du pays à
te prêter la main !
— Ah, ainsi, pour sûr que ça pourrait aller vite !
— Combien vite, Jonas ?
— Faut voir, Moussu Pierre, faut évaluer l’ouvrage.
Et de cette évaluation Pierre de Siorac ne put en connaître
davantage car Jonas aucunement ne se laissait bousculer, même par les maîtres,
son respect du métier l’empêchant de causer à la légère et d’avancer des délais
que point ne pourrait tenir. On s’en retourna, non sans avoir vidé l’ultime
gobelet, si bien que l’allure me manquait en remontant le sentier, le souffle
aussi.
Mon maître allait pressant le pas, et me voyant tant à la
peine, me héla sans patience :
— Hardi, Miroul ! Cabusse doit compter les mouches
en salle d’escrime et la leçon d’épée oncques je ne manque, comme tu
sais !
— Si fait, Moussu Pierre, que je me sens tout ralenti
d’avoir tant bu, et que je trouve que le Jonas il y va fort sur la
chopine !
— Certes, mais quand tu vas considérant son grand corps
et le labeur qui l’occupe le jour durant, mon idée est qu’il écluse tout ça
bien vite et que ça ne lui fait guère d’effet !
Suant à gouttes et bien pressés d’arriver enfin, nous
parvînmes en salle d’escrime où François et Samson tiraient l’un contre l’autre
sous la houlette attentive de Cabusse. Dès que le maître d’armes aperçut son
dernier élève, il lui fit signe et, marchant à sa rencontre, le salua de l’épée
d’une fort majestueuse manière, puis entra en propos :
— Pierre, voilà bien de l’inhabituel chez vous ?
Qu’est-ce donc qui excuse ce retard ?
Je notai que Cabusse, dont j’ai déjà signalé la grande
familiarité avec le baron, laquelle contrastait fort avec le respect de
Coulondre et de feu Marsal, usa du mot excuse qui m’étonna, même dans la
bouche d’un homme qui, sans se soucier de question de rang ni d’étiquette,
causait à la franche marguerite avec chacun, et je m’apensai qu’il en
outrepassait un peu d’en paraître demander des excuses à mon maître, et non pas
seulement des explications du retard. Du reste, mon maître ne prit pas la
remontrance tant à la légère et d’un sursaut d’agacement sa réponse fut
agrémentée :
— Cabusse, le domaine de Mespech est grand et sans
limite de temps exige d’être administré, si bien que me voilà en retard,
certes, mais prêt cependant à en découdre pour peu que vous en manifestiez le
désir.
— Je ne faisais que regretter votre absence, laquelle
plombe un peu ma leçon, rétorqua Cabusse la crête un tantinet rabattue me
sembla-t-il, car mirez donc vos deux frères tirer l’un contre l’autre, ne
dirait-on pas un ballet plus qu’un combat ?
Il y avait là flatterie pour se faire pardonner son entrée
en matière, je n’en doute pas, mais elle s’appuyait, non sans ruse, sur une
franche et solide réalité car François et Samson offraient cet ennuyeux
spectacle dont de causer l’occasion me fut déjà donnée. Samson avançait, un peu
lourdement, sans jamais chercher à placer la botte décisive, tandis que
François rompait avec grâce, ne songeant qu’au moment où il faudrait parer la
botte décisive, laquelle oncques ne venait.
— Regardez donc ! poursuivit Cabusse. Tel
Weitere Kostenlose Bücher