Le Baiser de Judas
de te voir et de te parler…
— Pour me dire quoi ?
— De rester où tu es. Il ne sait ce qu’il
va devenir, ni s’il pourra reprendre la lutte…
— Mais en a-t-il envie ? Tu me dis
que…
— Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il
puisse vivre sans la violence. S’il survit, s’il arrive à se cacher, il
recommencera. À ce moment-là, il te recontactera.
— Qui lui dit que je serai encore d’accord ?
— Personne, Judas, personne. Mais il ne
peut rien te proposer d’autre.
— Et qu’est-ce que je vais faire… ?
— Survivre, et te cacher. Nicodème a
forcément été prévenu de notre échec. Reste avec lui, et attends.
— Mais ce n’est pas possible. Jephté, celui
chez qui je vis, sert les sadducéens, parfois même les Romains. Je ne le
supportais que parce que cela ne pouvait pas durer.
— Prends ton mal en patience. Si tu es
dans une prison, elle reste dorée… »
La route devenait plus encombrée car ils
approchaient de l’entrée de Jérusalem, et Nathanaël s’interrompit un instant
pour guider son âne.
« D’autres sont encore moins bien lotis. Moi,
par exemple. »
Son égoïsme apparut immédiatement à Judas.
« Excuse-moi. C’est vrai, et toi ? Quand
je pense que de nous deux c’est toi qu’on prétendait le plus tiède, le moins
engagé… Et aujourd’hui c’est moi qui vis dans le luxe et toi qui t’es battu jusqu’au
bout. J’ai honte, tu sais, j’ai honte.
— Ne sois pas stupide. Nous avons servi
différemment. Je n’ai été qu’un soldat, comme toi. Si tu te retrouves là où tu
es, c’est que tu étais programmé pour aller plus haut que moi. Notre ascension
a été brisée. Mais nous n’avons pas été éliminés. Personne n’a gagné, surtout
pas nos ennemis.
— Toi, que vas-tu faire ?
— Sans doute aller un temps chez ma tante,
qui vit près de Jéricho. Je ne suis pas autant suspecté que toi ou Barabbas. Je
pourrai me reposer un temps, voire prendre contact avec d’autres groupes. Je ne
désespère pas. Mais il faut adopter un profil bas un moment.
— Nous nous reverrons ?
— Pour l’instant, ce serait une grande
imprudence. Déjà, le fait que je sois venu ce soir… Regarde, Jérusalem approche.
Tu devrais descendre. Je ne vais pas courir le risque de rentrer en ville. »
Judas n’avait jamais eu envie à ce point de
prendre un homme dans ses bras. Il se sentait stupide, sur cette charrette, empêtré
dans des vêtements trop riches pour lui, empêché de montrer son émotion. Il
laissa sa main une longue minute dans celle de son ami.
« Allons, Judas… Moi aussi, tu me
manqueras. » Judas comprit. Il mit pied à terre, tenta de saisir le regard
de Nathanaël, mais n’y parvint pas, caché qu’il était derrière le capuchon de
son burnous.
Il partit vers la ville et fit un effort
intense pour ne se retourner qu’une fois arrivé à la porte. Mais il ne réussit
pas à repérer la charrette que conduisait Nathanaël dans la masse de celles qui
circulaient.
CHAPITRE 12
Le temps s’écoula à nouveau. Judas s’installait
dans sa nouvelle vie. Le sentiment de sa mission, sa haine des Romains
existaient toujours, mais comme atténués, relégués à l’arrière-plan. Il avait
trouvé en Archépios l’ami qui pouvait lui faire sentir moins cruellement l’absence
de Nathanaël, et il s’était intégré au groupe de jeunes fêtards proche de
Malachie. Sa découverte d’un remède souverain contre la nausée qui suivait
leurs nombreuses beuveries (de petites boules noires à avaler, mélange d’argile
et d’hellébore) le rendit immédiatement populaire.
Et il désapprit cette idée solidement
inculquée par sa mère selon laquelle l’argent est la récompense d’un minimum de
vertu.
Jephté lui proposa
un jour de venir avec lui travailler à la boutique.
« Tu vis chez nous depuis bientôt un an. Nicodème
ne m’a pas reparlé de toi. Je ne sais trop pourquoi il m’a demandé de te garder,
mais cela ne va pas pouvoir durer comme cela… »
Il se reprit immédiatement.
« Je ne veux pas du tout dire que tu
devrais partir. Au contraire, tout le monde est content de te voir à la maison.
Malachie t’aime beaucoup, et même Sarah… Mais
Sarah est à un âge difficile, tu le sais. Enfin, bref, nous sommes tous
contents que tu sois parmi nous. Mais… »
Judas attendait, se demandant ce qui pouvait
être à ce point dur à dire.
« J’aimerais… Enfin, si tu veux…
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