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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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mortier des corrections de leur angle de tir. Deux obus atteignirent le camion de munitions, qui sauta, dans un grand jaillissement de fumée. Des morceaux d’acier sifflèrent pendant près d’une minute au-dessus de leurs têtes. Devant les camions, le sol était jonché de cadavres. Un sergent était parvenu à rallier une douzaine d’hommes, qui montèrent à l’assaut de la colline, en tirant au hasard, vers la cime. Quelqu’un descendit le sergent. Il tomba et continua à tirer, de sa position assise, jusqu’à ce que quelqu’un d’autre le touche de nouveau. Il s’écroula, le visage dans le sable.
    Le peloton que le sergent avait emmené à l’attaque se dispersa et rebroussa chemin, mais ils furent tous fauchés avant d’avoir pu rejoindre les camions. Deux minutes plus tard, personne ne tirait plus, parmi les Tommies. Le vent repoussait loin de la crête la fumée des véhicules en flammes. Çà et là, un blessé remuait comme un insecte écrasé.
    Hardenburg se redressa et leva la main. Le feu cessa.
    –  Diestl, cria-t-il en regardant les camions incendiés et les cadavres des Anglais, ordonnez aux mitrailleuses de continuer à tirer.
    Christian fit deux pas vers lui.
    –  Qu’avez-vous dit, mon lieutenant ? demanda-t-il d’une voix blanche.
    –  Que les mitrailleuses continuent à tirer.
    Christian regarda le convoi dévasté. Rien ne bougeait, en dehors des flammes qui montaient des camions.
    –  Bien, mon lieutenant, dit-il.
    –  Qu’ils balaient toute la superficie du campement anglais, reprit Hardenburg. Nous allons y descendre dans deux minutes. Je veux que rien n’y subsiste de vivant. Compris ?
    –  Oui, mon lieutenant, dit Christian .
    Il passa d’une mitrailleuse à l’autre, en disant :
    –  Reprenez le feu, jusqu’à ce qu’on vous commande d’arrêter.
    Les servants des deux mitrailleuses lui jetèrent un regard oblique, incompréhensif, puis haussèrent les épaules et obéirent. Dans le silence absolu, sans un mot, sans un cri, sans un bruit d’aucune sorte pour en noyer l’irritante régularité, le bruit nerveux et saccadé des mitrailleuses paraissait indûment sinistre et déplacé. Un par un, les hommes qui ne servaient pas les deux mitrailleuses se levèrent et gagnèrent le sommet de la colline, regardant les balles décrire dans le sable de larges arabesques, déchirer les morts et les blessés, dont les corps tressautaient en spasmes excentriques.
    Un soldat britannique qui gisait sur le sol, près d’un des feux, fut touché une seconde fois, se dressa sur son séant, rejeta la tête en arrière et hurla. Le cri monta jusqu’au sommet de la colline, rompant soudain le rythme méthodique des rafales. Surpris, les servants des deux mitrailleuses cessèrent de tirer, et le Tommy hurla de plus belle, les mains tendues devant ses yeux, à l’aveuglette.
    –  Continuez ! ordonna brutalement Hardenburg.
    Les deux mitrailleuses criblèrent le Tommy qu i retomba, la gorge déchiqueté e.
    Les hommes observaient, en silence, avec sur leurs visages la même expression d’horreur fascinée.
    Un seul visage n’avait pas cette expression : celui de Hardenburg. Lèvres retroussées, dents apparentes, yeux mi-clos, il respirait à petits coups haletants, irréguliers. Christian se demanda où il avait déjà vu une expression semblable… abandonnée, perdue dans le plaisir. Puis il se souvint. Gretchen, quand il faisait l’amour avec elle… « Ils doivent être cousins, pensa Christian, ils se ressemblent trop, parfois… »
    Les mitrailleuses crachaient toujours, et leur bruit était presque, à présent, comme le bruit quotidien d’une usine contiguë. Deux hommes sortirent une cigarette de leur poche et l’allumèrent, d’un geste naturel, un peu ennuyés, déjà, par la monotonie de la scène.
    « Le destin du soldat, songea Christian, en regardant, au pied de la colline, les cadavres torturés. S’ils étaient restés en Angleterre, rien de tout cela ne leur serait arrivé. » Demain, ce serait lui, peut-être, qui serait étendu sur le sable, et quelque Cockn ey des bas quartiers de Londres qui lui logerait une rafale de plomb dans le corps. Il ressentit, soudain, un bizarre sentiment de supériorité. On se sent supérieur aux Polonais, aux Tchèques, aux Russes et aux Italiens, mais par-dessus tout, on se sent, toujours, supérieur aux morts. Il se souvint des jeunes Anglais, élégants et languides, qui venaient skier en

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