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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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fois de plus, commen t ces femmes jeunes et gaies, jolies pour la plupart, bavardes et joyeuses de vivre, pouvaient supporter de passer leurs journées au milieu des machines à écrire, des livres, des Piper, des paperasses et du jargon légal. Lorsqu’il se retrouva sur le trottoir, il poussa un long soupir de soulagement. Ses affaires officielles étaient terminées. L’après-midi et la nuit lui appartenaient, jusqu’à six heures traite le lendemain matin, heure à laquelle il devait se présenter devant sa commission de recrutement. Les autorités civiles n’avaient plus de pouvoir sur lui, et les autorités militaires ne l’avaient pas encore pris en charge. Il était une heure. Il lui restait dix-sept heures et demie de pleine liberté, entre cette vie et la suivante.
    Il se sentait libre et léger et regardait, autour de lui, la large rue ensoleillée et la foule anonyme des gens, comme un propriétaire de plantations parcourant ses terres, l’estomac bien garni, et sondant du regard l’étendue de ses richesses. La Cinquième Avenue était sa plantation ; la ville, sa propriété ; les vitrines, ses granges ; le parc, sa pépinière ; les théâtres, son atelier…
    Il imagina la chute d’une bombe, entre la cathédrale et Rockefeller Center, et chercha, sur les visages des gens, quelque prémonition de ce désastre possible. Mais les visages de la foule étaient ce qu’ils avaient toujours été p réoccupés, soucieux, et pourtant persuadés que les bombes pourraient tomber dans Saville Street, sur la place Vendôme, sur User den Linden, sur la plazza Victor-Emmanuel, sur la place Rouge, mais que jamais le monde ne s’écarterait assez de la droite route pour briser une seule vitrine dans la Cinquième Avenue.
    Michael marcha le long des murs gris de la cathédrale, jusqu’à Madison Avenue. Une fois seulement, sur le visage de deux lieutenants d’aviation, il lui sembla lire une pensée semblable à celle qui le hantait : la pensée que rien n’était invulnérable, pas même les pierres et les fleurs de l’Institut Rockefeller , n i le château somptueux de la Compagnie Columbi a mais peut-être craignaient-ils, simplement, de n’avoir pas assez d’argent pour payer le déjeuner des filles avec lesquelles ils avaient rendez-vous au restaurant du coin ?
    Michael s’arrêta devant un chapelier. C’était un magasin chic, avec des chapeaux à quinze et vingt-cinq dollars, aux feutres luxueux et aux rubans discrets. Pas de casques, ni d’affreux calots, ni de képis, ni de couvre-chefs militaires d’aucune sorte. Un problème de plus qu’il devrait affronter dans l’Armée. Il fallait porter un chapeau, dans l’Armée, et Michael n’avait jamais porté de chapeau, même par temps de plui e. Les chapeaux lui donnaient la migraine. Si la guerre durait cinq ans, serait-il condamné, pendant cinq ans, à avoir la migraine ?
    Il repartit d’un bon pas vers le restaurant où Peggy devait déjà l’attendre. Quels problèmes multiples soulevait la guerre ! Il y avait la question des chapeaux… Et tout le reste. Il dormait peu, et mal. Le moindre bruit le réveillait, et il n’avait jamais pu dormir dans la même chambre que quelqu’un d’autre. Dans les chambrées de l’Armée, ils devaient être au moins cinquante… Devrait-il attendre la fin de la guerre pour pouvoir dormir ? Et la question des w. -c. ? Les w. -c. a vec porte fermant de l’intérieur constituaient l’un des piliers de l’existence. Toutes ces importantes fonctions corporelles devaient être suspendues jusqu’à la reddition de l’Allemagne, tandis que lui, Michael, regar derait avec haine et répulsion les longues rangées grotesques d’hommes accroupis ? Il soupira, soudainement attristé. Il lui serait plus facile, songea-t-il, de mourir dans une tranchée sanglante que d’entrer dans les latrines collectives et… « Le monde moderne, songea-t-il, ne prépare pas les hommes aux épreuves qu’ils doivent subir. »
    Il y avait, enfin, la question des rapports sexuels. Peut-être n’était-ce qu’une habitude, connue le prétendaient tant de doctes personnages, mais c’était une habitude profonde et fermement enracinée. Marié ou célibataire, il avait toujours eu, depuis l’âge de dix-sept ans, des relations constantes et agréables avec les femmes. Les deux ou trois périodes d’une ou deux semaines, au cours desquelles, pour une raison ou pour une autre, il avait dû se passer

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