Le Bal Des Maudits - T 1
lui ? Christian résolut d’élucider ce problème aussitôt que possible et fit quelques pas en avant.
Hardenburg leva la main et repoussa brutalement le visage de Christian, d’une paume qui sentait la graisse et la sueur. Christian recula un peu, écarquillant les yeux.
– Ça va mieux ? dit Hardenburg.
– Oui, mon lieutenant, répondit Christian. Il tâcherait de savoir, par la suite, ce qu’était devenu le reste de la compagnie, mais pour l’instant, ça pouvait attendre.
Le camion s’ébranla doucement sur la piste, et commença à s’éloigner. Deux des hommes se lancèrent lourdement à sa suite.
– Restez où vous êtes ! hurla Hardenburg. Les deux hommes s’arrêtèrent et regardèrent le camion escalader lentement le versant d’une petite colline. Ils le virent dépasser la motocyclette de Hardenburg, hésiter un instant au sommet de la montée, et puis, d’un seul coup, disparaître.
– Nous allons creuser ici, dit Hardenburg, en désignant la pente désertée. Les hommes le regardèrent, stupidement, sans mot dire.
– Immédiatement, dit Hardenburg. Diestl, restez avec moi !
– Oui, mon lieutenant, répondit Christian.
Il n’avait pas épuisé la joie qu’il avait éprouvée lorsqu’il avait découvert qu’il était encore capable de marcher.
Hardenburg se mit à remonter la pente avec une rapidité qui tenait du prodige. « Fantastique, pensa Christian en suivant le lieutenant. Fantastique qu’un type maigre, après les dix derniers jours, puisse encore se mouvoir avec cette énergie. »
Les autres les suivirent plus lentement. Avec des gestes rapides, Hardenburg indiqua à chacun où il devrait creuser son trou. Ils étaient trente-sept, et Christian se souvint qu’il lui faudrait demander, un de ces jours, où était passé le reste de la compagnie. Hardenburg les déploya en travers du premier tiers de la montée, en une longue ligne irrégulière. Lorsqu’il eut terminé, lui et Christian se retournèrent, pour observer les trente-sept silhouettes inclinées sur leurs pelles. Christian comprit, soudain, que, s’ils étaient attaqués, il leur faudrait combattre sur place, car ils n’avaient aucune possibilité de retraite, le long du versant abrupt au pied duquel Hardenburg les avait disposés. Il comprit, soudain, ce qui était en train de se passer.
– Très bien, Diestl, dit Hardenburg. Venez avec moi.
Christian suivit le lieutenant jusqu’à la piste. Sans un mot, il aida le lieutenant à pousser la motocyclette jusqu’au sommet de la montée. Occasionnellement, un soldat s ’arrêtait de creuser, pour regarder les deux hommes hisser la moto vers la crête de la colline, derrière eux. Christian haletait lorsqu’ils atteignirent le sommet. À nouveau, ils se retournèrent et regardèrent-la mince ligne d ’hommes en train de creuser. La scène était irréelle et paisible, avec l’éclat blême de la lune, et le désert alentour, et les gestes ridiculement lents des terrassiers, comme un rêve issu de la Bible.
– Ils ne pourront jamais battre en retraite, une fois qu’ils auront engagé le combat, dit Christian, presque inconsciemment.
– C’est exact, acquiesça Hardenburg.
Ils vont tous mourir ici, dit Christian.
C’est exact, répéta Hardenburg. Et Christian se souvint , subitement, de ce que Hardenburg lui avait dit, un jour, à El Agheila : « Dans une situation désespérée mais qui doit être maintenue aussi longtemps que possible, l’officier intelligent disposera ses hommes de manière à ne leur laisser aucune possibilité de retraite. S’ils sont placés de telle façon qu’ils doivent combattr e ou mourir, l’officier a rempli sa mission. »
Hardenburg, cette nuit, avait parfaitement rempli la sienne.
– Qu’est-il arrivé ? demanda Christian.
Hardenburg haussa les épaules.
– Ils nous ont débordés, des deux côtés, dit-il.
– Où sont-ils, à présent ?
Hardenburg regarda alternativement vers le sud et vers le nord, où grondait toujours et se reflétait la canonnade.
– J’aimerais le savoir, dit-il.
Il se pencha vers la motocyclette, se redressa :
– Assez d’essence pour cent kilomètres, annonça-t-il. Êtes-vous assez solide pour tenir sur le siège arrière ?
Christina tenta de résoudre ce problème, le front ridé par l’effort, et parvint enfin à répondre :
– Oui, mon lieutenant.
Il se retourna une nouvelle fois vers les hommes qu’il allait
Weitere Kostenlose Bücher