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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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laisser sur cette colline, voués à une mort certaine. Il ouvrit la bouche pour dire à Hardenburg :
    « Non, mon lieutenant, je reste ici », et la referma sans parler. À quoi bon ? Son sacrifice ne changerait rien à rien.
    La guerre renversait toutes les valeurs reconnues, et il savait que Hardenburg n’agissait pas ainsi simplement pour sauver sa peau. Ces hommes pourraient tout juste retarder une compagnie britannique pendant une heure, au grand maximum. Puis ils disparaîtraient. Ni Hardenburg ni Christian ne pourraient ajouter une seule minute à cette heure. Il n’y avait rien à faire contre ça. La prochaine fois, ce serait peut-être lui qui resterait sur une colline, sans espoir de retraite, tandis qu’un autre s’en irait sur la route, vers une problématique sécurité.
    –  Restez ici, dit Hardenburg. Asseyez-vous et reposez-vous un instant. Je vais leur dire que nous allons revenir avec un peloton de mortiers pour nous soutenir.
    –  Oui, mon lieutenant, dit Christian.
    Il se laissa tomber sur le sol et regarda Hardenburg descendre rapidement vers l’endroit où Himmler creusait lentement son trou. Puis il s’effondra sur le côté et dormait avant que son épaule ait touché terre.
    Hardenburg le secouait rudement. Il ouvrit les yeux et le regarda. Il savait qu’il lui serait impossible de s’asseoir, puis de se mettre debout, de marcher, de mettre un pied devant l’autre. Il voulait lui dire : « Laissez-moi », et se rendormir. Mais Harden burg le saisit par le col de sa veste et tira de toutes ses forces. Sans avoir compris comment, Christian se retrouva sur ses pieds. Il marcha automatiquement, traînant les pieds avec un bruit semblable à celui que faisait le fer de sa mère lorsqu’elle repassait du linge empesé, et aida Hardenburg à redresser la machine. Hardenburg enjamba la selle avec une agilité inconcevable, et se mit à appuyer sur la pédale du démarreur. La moto cracha, toussa, mais refusa de démarrer.
    Christian regardait attentivement le lieutenant lutter avec la machine, sous la lumière évanescente de la lune, et ce ne fut que lorsque l’homme arriva tout près de lui qu’il s’aperçut que quelqu’un d’autre les observait. C’était Knuhlen, l’homme qui avait pleuré dans le camion. Il avait cessé de creuser et suivit le lieutenant jusqu’au sommet de la pente. Il ne disait rien. Il restait là, immobile, regardant Hardenburg tenter de faire démarrer la motocyclette.
    Hardenburg le vit. Il respira profondément, réenjamba la moto et se tint debout près d’elle.
    –  Oui, mon lieutenant, dit Knuhlen.
    Mais il ne broncha pas.
    Hardenburg s’approcha de lui et le frappa, fort, du revers de la main. Knuhlen se mit à saigner du nez. Il renifla bruyamment, mais ne bougea pas. Ses mains pendaient le long de ses hanches, comme s’il avait oublié la façon de s’en servir. Il avait laissé son fusil et sa pelle près du trou qu’il était en train de creuser. Hardenburg recula d’un pas et regarda Knuhlen avec une curiosité exempte de malice, comme s’il ne représentait rien de plus qu’un menu problème technique dont la solution lui incombait. Puis le lieutenant frappa Knuhlen de nouveau, deux fois de suite, et très fort. Knuhlen tomba lentement sur les genoux. Il resta ainsi, immobile, les yeux levés vers Hardenburg.
    –  Relevez-vous ! ordonna Hardenburg.
    Lentement, Knuhlen obéit. Il se taisait toujours, e t ses mains pendaient toujours, inertes, à ses côtés.
    Christian le regardait, vaguement. « Pourquoi te relèves-tu ? pensait-il. Pourquoi ne meurs-tu pas ? » Il haïssait ce soldat lourd et laid, debout, vivant reproche, au sommet de la colline.
    –  Rejoignez votre poste, maintenant, dit Hardenburg.
    Mais Knuhlen ne bougeait pas, comme si les mots du lieutenant n’avaient plus le pouvoir de pénétrer jusqu’à son esprit. De temps à autre, il aspirait le sang qui coulait de ses narines. La scène ressemblait à une peinture moderne que Christian avait vue à Paris. Trois silhouettes hagardes et sombres, sur une colline vide, sous une lune mourante, sans qu’il fût possible de dire où commençait le ciel, où finissait la terre.
    –  Très bien, dit Hardenburg. Suivez-moi.
    Il saisit les poignées du guidon de la motocyclette et la poussa dans la descente de l’autre côté de la colline. Une dernière fois, Christian regarda les trente-six hommes abandonnés dans leurs trous, au cœur du désert.

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