Le Bal Des Maudits - T 2
avec le sergent Himmler, qui désignait les curiosités de toute nature, et Hardenburg sur le siège de devant. Himmler, bouillonnant de bonne humeur, et dont il ne restait peut-être même plus un seul os, là-bas, en plein désert, au flanc de la colline ; Hardenburg, gueule cassée, suicidé en Italie… Mais Brandt et lui étaient toujours vivants et roulaient doucement sur les mêmes pavés, respiraient la même odeur fétide de la vieille cité, apercevaient les mêmes monuments, non loin des vieux quais du fleuve éternel…
– Ici, chuchota Brandt. Arrêtez-vous ici.
Christian freina, coupa le contact. Il se sentait très fatigué. Ils étaient devant un garage, avec une rampe de ciment, que fermait à demi une porte à glissières.
– Attendez-moi, dit Brandt.
Il sauta de la voiture, frappa à une petite porte, sur la gauche du plan incliné. Au bout d’un moment, la porte s’ouvrit et Brandt disparut. (Himmler disparaissant à l’intérieur du bordel, et les tentures mauresques, et le Champagne glacé, et le sourire de la fille brune. « Un goût bizarre, avait dit sa bouche rouge, un goût bizarre, n ’est-ce pas ? » Et la brève réplique de Brandt : « Nous sommes un peuple bizarre. Vous-vous en apercevez. Faites votre boulot. » Et la robe de soie verte, sur le bras d’Himmler, et le 1918, griffonné à la craie sur le mur de l’église.) « Les Français, répéta une voix morne au fond du cerveau de Christian, les Français, ils nous battront tous encore. »
Il y eut un long grincement, et la porte du garage s’écarta. Une lampe s’alluma au sommet de la rampe, tache de lumière dans les profondeurs ténébreuses de l’immeuble. Brandt sortit précipitamment, jeta un coup d’œil dans la rue déserte.
– Rentrez la voiture, souffla-t-il à Christian. Vite !
Christian lança le moteur et monta rapidement le plan incliné, en direction de la lumière. Derrière lui, se referma la porte du garage. Au sommet du plan incliné, Christian s’arrêta. Il regarda autour de lui, distingua dans l’ombre trois ou quatre voitures recouvertes de bâches.
– Très bien. – C’était la voix de Brandt. – Descendez, maintenant.
Christian coupa le contact et sauta sur le sol. Brandt se dirigeait vers lui, en compagnie d’un autre homme. L’autre homme était petit et gras et portait un chapeau cloche, mi-sinistre, mi-saugrenu, dans cette atmosphère mélodramatique.
L’homme au chapeau cloche fit deux fois le tour de la voiture, l’examinant, la palpant comme un maquignon. « Ça colle », dit-il. Il tourna les talons et disparut dans un petit bureau, duquel émanait une faible lueur.
– J’ai vendu la voiture, dit Brandt. Soixante-quinze mille francs. Ils nous seront utiles au cours des semaines à venir. Prenons notre matériel. Nous allons continuer à pied.
« Soixante-quinze mille francs, pensa Christian, admiratif en aidant l’ex-photographe à décharger les jambons, le pain, le fromage, le calvados. Cet homme ne s’avoue jamais vaincu ! Il a des amis et des relations d’affaires dans tous les milliers et rien, jamais, ne l ’embarrasse ! »
L’homme au chapeau cloche leur fournit en outre deux sacs de toile dans lesquels il entassèrent leurs possessions. Le Français n’offrit pas de les aider, mais se tint en dehors de la lumière, les observant sans mot dire, avec un visage absolument inexpressif. Lorsqu’ils eurent fini de préparer leurs bagages, il les conduisit à la petite porte, qu’il ouvrit. « Au revoir, monsieur Brandt, dit-il. Amusez-vous bien à Paris. » Il y avait dans la voix du Français une nuance subtile d’avertissement et de raillerie. Christian eut envie de le traîner jusqu’au sommet du plan incliné, sous la lumière, pour bien regarder son visage. Il hésita. Brandt le saisit par le bras, nerveusement. Il le suivit jusqu’à la rue. La porte se referma derrière eux. Ils entendirent claquer la serrure.
– Par ici, dit Brandt en l’entraînant, le sac sur l’épaule. Nous n’avons pas loin à aller.
Christian se laissa guider, pour la seconde fois, à travers les rues parisiennes. Plus tard, il questionnerait Brandt au sujet de l’homme au chapeau cloche. Mais, pour l’instant, il était trop fatigué, et Brandt marchait d’un bon pas, devant lui, pressé d’arriver enfin à la maison de sa maîtresse.
Au bout de trois ou quatre minutes, Brandt s’arrêta devant l’entrée d’un immeuble
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