Le Baptême de Judas

distraire, pas même votre vie, mais si tu le pouvais.
    —    Je veillerai sur lui de mon mieux, Pernelle, l’interrompis-je en caressant doucement sa joue mouillée de larmes. Je t’en donne ma parole. Et je parierais ma main encore saine que tu as fait la demande à Ugolin et qu’il t’a donné la même réponse.
    Elle reporta son attention sur moi, ricana tristement et me caressa le bras.
    —    Je sais que tu le feras, Gondemar. Mais, même si tu le voulais, tu ne pourrais pas me promettre de le garder en vie.
    —    C’est vrai, admis-je en baissant les yeux.
    —    Si jamais il devait lui arriver quelque chose, j’aimerais que.
    Elle fouilla dans sa robe et en tira sa bible qu’elle me tendit comme s’il s’agissait d’un charbon ardent.
    —    Je serais plus tranquille si quelqu’un lui donnait le consola-mentum. Au moins, je saurais qu’il a eu une bonne mort et qu’il a trouvé la Lumière. Ugolin, Eudes et Roger Bernard ne sont pas des Parfaits, mais ils sont cathares. Ils pourront s’en charger.
    —    Alors c’est à l’un d’eux que tu devrais confier la tâche.
    —    Gondemar, à part Odon, tu es tout ce que j’ai. Mon seul ami. Je souhaite que tu sois celui qui juge du moment. Je ne te confie pas la vie de mon fils, mais son âme.
    —    Il n’est même pas cathare, protestai-je.
    —    Et après ? Cela n’empêche pas d’assurer son salut. Les chrétiens imposent bien leur baptême à des enfants à peine nés qui ne sont pas en état de décider s’ils le veulent.
    Je soupirai profondément et, à contrecœur, je pris la bible, puis me retournai pour la fourrer dans un de mes sacs.
    —    Pernelle. je.
    —    Ne dis rien, mon ami, murmura-t-elle en hochant la tête. Si nécessaire, fais ce que dois. C’est tout ce que je te demande.
    —    Bien, parvins-je à répondre, la gorge serrée par l’émotion.
    Elle baisa son index et son majeur et les posa sur ma joue. Je
    baissai les yeux, honteux. Moi, damné par Dieu, voilà que je me retrouvais responsable de l’âme d’un autre. Comment dire à Pernelle que, parmi les hommes, j’étais le plus indigne de tous ?
    Mon amie me quitta pour se diriger vers Odon. Le pauvre garçon n’en menait pas large, mais il tentait de faire bonne figure. Par pudeur, tous éloignèrent leur monture pour donner un peu d’intimité à la mère et au fils. Le jeune homme inspira et bomba le torse pour se donner une contenance, mais son visage trahissait son désarroi. Le regard éperdu qu’il adressa à sa génitrice n’échappa à personne. Pernelle prit ses mains dans les siennes et lui sourit.
    —    Mère, dit Odon d’une voix cassée, je.
    —    Chut, mon petit, l’interrompit sa mère. Les mots ne sont pas nécessaires. Suis ta destinée. Tu pars avec des hommes droits en qui j’ai une entière confiance. Obéis-leur en tout.
    Odon se laissa soudain choir sur les genoux, posa sa tête contre le ventre de sa mère et se serra contre elle.
    —    Donnez-moi votre bénédiction, mère, demanda-t-il avec ferveur, d’une voix étranglée. Je vous en conjure.
    Pernelle sourit tendrement et me jeta un regard dérobé. Son enfant venait de rejoindre les rangs des cathares et elle en était ravie. Elle lui posa les mains sur la tête avant de prononcer les paroles sacrées des Parfaits. Aussitôt, ma gorge se serra et le souffle me manqua, mais pour une fois j’en fus heureux. Odon avait tout à gagner de cette bénédiction. Au mieux, il assurait son salut. Au pire, il ne perdait rien. Dans tous les cas, la mère et l’enfant s’en trouvaient réconfortés. Autour de moi, les autres durent confondre mes hoquets de suffocation avec des pleurs, car ils m’adressèrent des regards compatissants.
    —    Tiens-la de Dieu et de moi, mon enfant.
    —    Donnez-moi la grâce d’être conduit à bonne fin.
    —    Dieu te bénisse, Odon, poursuivit-elle à travers de gros sanglots. Je le prie de te faire bon chrétien et de te conduire à bonne fin.
    Elle se mordit les lèvres et caressa doucement ses cheveux noirs.
    —    Mon fils. Mon tout petit.
    Odon se remit debout et lui fit face en retenant courageusement ses larmes, les poings serrés sur ses cuisses. Pernelle se leva sur la pointe des pieds et lui baisa sèchement le front. Puis elle fit demi-tour et s’enfuit en courant sans regarder derrière, aussi vite que le lui permettait sa jambe infirme. Je la vis