Le Baptême de Judas
moi.
Un bruit de coup retentit.
— C’est le mieux que tu peux faire ? rétorqua le Minervois. Femmelette ! Je croyais les Templiers plus rudes !
Autour de moi, je perçus les bruits des soldats qui descendaient de leur monture. Une main me prit par le bras et je sursautai.
— Descends, ordonna brusquement un homme.
Avec son aide, je me retrouvai sur le sol. Malgré mon habitude de la chevauchée, j’avais les fesses et les cuisses endolories et je les étirai de mon mieux. Une bourrade m’interrompit.
— Assis.
J’obéis et attendis. Je reconnus bientôt le bruit des pierres que l’on entrechoque et, après un instant, le crépitement d’un feu monta. Je me tortillai pour m’en approcher et sa chaleur me réconforta un peu. Après quelques minutes, on releva ma cagoule pour m’appuyer quelque chose contre les lèvres.
— Mange, Gondemar, dit la voix de Véran.
— Fais attention à tes doigts, sale vendu. J’ai tranché bien pire avec mes dents.
— La langue de Raynal, répondit-il. Je sais. Si j’avais été à ta place, j’en aurais fait autant. Allons, mange.
Je crevais de faim et, ravalant ma fierté, je mordis à pleines dents dans le pain. Il ne me fallut qu’une minute pour tout avaler. Puis je posai la question qui me brûlait les lèvres comme un charbon ardent.
— Comment es-tu vivant ?
— C’est simple, répondit-il, ma vie n’a jamais été en danger. J’ai visé une côte. La lame a glissé dessus sans faire trop de dommages. Je m’en suis tiré avec une sale entaille.
— Et deux oreilles en moins.
— La chair est sans importance. Je ne suis ni le premier, ni le dernier templier à se recoudre lui-même ou à poursuivre sa vie avec quelques bouts en moins.
À l’aveuglette, je crachai dans sa direction.
— Bois, se contenta-t-il de dire.
J’entrouvris les lèvres et Véran y versa un délicieux vin rouge qui me réchauffa les entrailles. Lorsque j’eus terminé, j’attendis qu’il s’en aille, mais je n’entendis pas ses pas.
— Que me veux-tu encore ? m’enquis-je en constatant qu’il était toujours là.
Un long silence s’ensuivit, puis il finit par répondre.
— Gondemar, chuchota-t-il avec empressement, je ne devrais pas te dire ceci, mais je sais que tu as toujours été fidèle à la cause et tu mérites une chance.
Je sentis sa main se refermer sur mon bras.
— Lorsque nous arriverons, ouvre ton esprit et écoute bien ce qu’on te dira. Tu m’entends ? Ne résiste pas. Ta vie dépend de la façon dont tu réagiras. Celle de dame Cécile également.
Avant que je puisse l’interroger sur le sens de ces paroles énigmatiques, je l’entendis se lever et s’éloigner. Perplexe, je restai seul devant le feu. Mon instinct me disait que les paroles de Véran étaient sincères. J’avais même perçu dans sa voix une certaine crainte. Mais pourquoi ressentait-il le besoin de me venir en aide, lui qui avait trahi notre cause ? Par remords ? Restait-il quelque chose de bon en lui ? Ou allait-il changer de camp une fois de plus au profit de quelqu’un d’autre que Montfort et Amaury ? Au moment opportun, pourrais-je utiliser cela à mon avantage ?
Sur ma gauche, des ronflements tonitruants montèrent et je ne pus m’empêcher de sourire en réalisant qu’Ugolin avait profité de la pause pour dormir un peu. Dans sa simplicité, le Minervois était fort réfléchi, comme toujours. Il ne servait à rien d’atteindre notre destination au bord de l’épuisement. Quoi qu’il arrive, nous serions toujours en meilleure posture si nous étions aptes à nous défendre. Je m’allongeai sur le côté et l’imitai. La fatigue l’emporta sur l’incertitude et le découragement.
Je me tenais au milieu d’une pièce aux murs de pierre sans fenêtres, éclairée par quelques torches. Il ne s’y trouvait aucun meuble. Autour de moi, des gens décrivaient une lente et sinistre procession. Ils portaient tous une longue robe noire au capuchon remonté sur la tête et je ne pouvais voir leur visage. Ils avançaient d’un pas lent et mesuré, les mains dans leurs manches, la tête penchée vers le sol, comme en prière. Qui étaient-ils ? Des moines ? Pourquoi étaient-ils ici ? Que me voulaient-ils ?
Je ressentis une peur froide s’insinuer dans mes tripes. Ces inconnus n’étaient pas là par hasard. Ils étaient là pour moi.
— Qui êtes-vous ?
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