Le Baptême de Judas

traître s’empressa de le rejoindre, la douleur se lisant sur son visage en sueur. Le sang avait recommencé à couler de ses blessures. Je notai néanmoins son attitude obséquieuse lorsqu’il fut près de l’inconnu.
    —    Qu’on les ligote et qu’on leur bande les yeux, ordonna le templier. Envoie quelques hommes pour retrouver leurs montures. Et assure-toi que nos morts sont ramassés et emportés.
    —    Bien, fit Véran avant de s’éloigner pour transmettre les ordres.
    L’inconnu reporta sur moi un regard rempli d’un profond accablement dont je me demandai la source.
    —    Qu’attends-tu pour nous occire ? m’enquis-je. Après tout, c’est ce que tu veux depuis longtemps, non ? Voilà ta chance. Finis-en.
    Une moue se forma sur ses lèvres. Je crus d’abord lire en elle du mépris, puis compris qu’elle exprimait plutôt du dépit.
    —    Ce n’est pas l’envie qui me manque, crois-moi, mais les ordres ont changé, répondit-il. Si ta mort était souhaitable jadis, elle ne l’est plus. Pas dans l’immédiat, en tout cas. D’autres que moi jugeront de cette question en temps opportun.
    Intrigué, je tentai de lire sur son visage le sens de ces paroles mystérieuses.
    —    Tu peux faire ce que tu veux de nous, dis-je. Ça ne changera rien. La première part est en sécurité à Montségur et bien malin celui qui pourra s’en emparer. Toi et Montfort avez perdu.
    —    Montfort doit être vainqueur, répondit-il.
    Il fit signe aux deux hommes qui me maintenaient toujours cloué au sol de me relever. Nous fûmes désarmés, puis on nous lia les mains derrière le dos avant de nous mener vers nos montures. Pendant qu’on nous maintenait sous bonne garde, d’autres ramassèrent les templiers morts - huit en tout, notai-je non sans une certaine fierté - et les chargèrent sur autant de chevaux.
    Lorsque Véran passa près d’Eudes, ce dernier le tança vertement.
    —    Méprisable fils de pute, grogna-t-il, la voix frémissante de rage et des éclairs dans les yeux. De nous tous, tu étais le dernier que j’aurais cru capable de trahir. N’as-tu donc aucune honte ? Ne vaux-tu pas mieux que ce filou de Raynal ? Le souvenir de ce pauvre Ravier et de l’affection qu’il te vouait ne te tourmente-t-il pas ? Judas ! Renégat ! Réalises-tu ce que tu fais ?
    Véran subit la tempête sans broncher. Lorsqu’elle se fut calmée, il se contenta de toiser longuement Eudes.
    —    Je le réalise pleinement, crois-moi, mon frère, répondit-il avec lassitude. Dans la vie, rien n’est tout blanc ou tout noir.
    Sans rien ajouter, il s’éloigna d’un pas traînant. Un homme s’approcha avec une cagoule noire de toile épaisse et fit mine de me la passer sur la tête.
    —    Où allons-nous ? demandai-je au templier inconnu.
    —    À l’ombre du roi, rétorqua-t-il, d’un ton contrarié.
    Le sac fut enfilé sur ma tête et lié à ma gorge avec une ficelle, me plongeant dans le noir. Seule une petite ouverture pratiquée à la hauteur du nez me permettait de respirer librement. Puis on m’aida à me mettre en selle. Après quelques instants, je sentis qu’on tirait sur la bride de Sauvage, qui s’ébroua et se mit en marche. De toute évidence, pour faire route de nuit, le templier était pressé d’atteindre sa destination.
    À l’ombre du roi. .. Je repassai dans ma tête la note de Baroche, découverte dans la chapelle souterraine de Gisors : Que la révélation de la Vérité apporte enfin la Lumière au monde, avait écrit le frère servant. Sinon, que le Temple et les mots sacrés lui servent de refuge dans l’ombre du roi. Et souviens-toi : Post Tenebras Lux . J’avais tenu pour acquis que le temple dans l’ombre du roi faisait référence à la commanderie des Templiers de Paris. Mais il était impossible que nous nous dirigions vers le Nord. Un groupe de cavaliers, dont plusieurs cagoulés comme des condamnés à mort, n’arriverait jamais à traverser tout le Sud sans attirer l’attention et se faire questionner. Et puis, si ces templiers servaient la cause du pape, ils n’avaient aucune raison de se rendre à Paris. Alors, où nous conduisait-on ? Et surtout, à quelles fins ? Pourquoi celui qui avait tenté de mettre fin à mes jours me préservait-il maintenant ? Qui donc décidait de ses gestes ? Et, par-dessus tout, quel rôle jouait-il dans cette histoire ? Voulait-il s’emparer de la Vérité ou non ? Si oui, me faire