Le Baptême de Judas
jouiras plus de cette belle immunité. Tu serais bien avisé de ne pas l’oublier.
— Ne crains rien, la pensée ne me quitte jamais. Mais crois-moi, de toutes les menaces qui planent au-dessus de moi, tu en es la moins grande.
Je désignai le cadavre de la tête.
— D’ici là, à moins que la viande froide soit au menu, j’apprécierais qu’on retire celle-ci de ma vue. Et puis, j’ai bien peur que les entrailles du pauvre diable se soient vidées et l’odeur me gâte un peu l’appétit. Ce ragoût est déjà assez repoussant. S’il doit, en plus, empester la merde.
Contenant la colère qui lui rougissait le visage, Pierrepont ordonna à ses hommes de ramasser le mort et de me lier les mains dans le dos dès que j’aurais achevé mon repas.
— À compter de maintenant, que trois hommes le gardent en permanence, ordonna-t-il. J’arracherai les génitoires au premier qui le quittera des yeux et je les lui ferai avaler. Compris ?
Blêmes, les soldats s’empressèrent d’opiner du chef. Pierrepont tourna brusquement les talons et disparut en maugréant. Aussitôt, trois hommes furent désignés pour me tenir compagnie. Deux autres empoignèrent le mort et le traînèrent plus loin. Il n’aurait pas droit à mieux qu’une sépulture de fortune.
Du coin de l’œil, j’aperçus Ugolin qui, comme tout le monde, avait observé la scène. Il souriait. Ravi de le revoir dans cet état, je lui adressai un clin d’œil complice, espérant de tout cœur qu’il réponde. Lorsqu’il le fit, je sus que ma petite incartade lui avait redonné espoir et que j’avais regagné une part de sa confiance. Je fus étonné de constater à quel point elle m’importait. Ce gros balourd au cœur pur en était venu à occuper une place importante dans ma vie et le décevoir m’avait beaucoup affecté.
Soudain, je réalisai que, sans m’en rendre compte, j’avais décidé de ne pas baisser les bras et l’horizon se fit un peu moins noir. Si Dieu me laissait la vie, peut-être tout n’était-il pas perdu.
Rien de particulier ne se produisit le lendemain, sinon que différents trios de soldats se relayaient près de moi toutes les six heures, me collant au cul comme de la crotte au fond de mes braies. On m’avait aidé à monter en selle et, les mains liées derrière le dos, mes fers me tailladant les poignets, je chevauchais au milieu des troupes. Habitué au combat à cheval, je n’avais aucun mal à me tenir en selle dans cette position. Mon comportement délinquant m’avait aussi valu une promotion : j’étais désormais plus près de la tête du convoi, Pierrepont souhaitant garder un œil sur moi. J’en étais fort aise, puisque cela me permettrait d’en faire autant.
De temps à autre, je jetais un coup d’œil en arrière, vers Pernelle et Ugolin, qui se trouvaient toujours au milieu. Je constatai avec bonheur qu’ils ne fuyaient plus mon regard. Mon impertinence leur avait redonné la foi. En leur mission. En moi. Pernelle m’adressa même un franc sourire. J’aurais donné cher pour quelques minutes en sa compagnie. J’éprouvais le besoin de me trouver près d’elle, de me laisser pénétrer par la paix qu’elle m’apportait, de m’abreuver à son intelligence et à son bon sens. Mais pour le moment, cela m’était interdit.
J’avais le cœur un peu plus léger, certes, mais ma situation n’était pas moins désespérée. Bien qu’émergé de ma torpeur et décidé à ne pas abdiquer sans lutter, je ne savais pas plus qu’avant ce que je pouvais faire pour sauver tout à la fois la vie de ceux que j’aimais, la Vérité et mon âme. Mes priorités étaient claires : quoi qu’il advienne, mon âme passerait en dernier. Gondemar de Rossal était un damné qui avait mérité de l’être, mais il n’était pas un lâche. J’avais au moins retenu cela des enseignements de Bertrand de Montbard. La veille, en étranglant le soldat de Pierrepont, je m’étais senti revivre. Tu as l’âme d’un guerrier, m’avait affirmé Métatron lors de mon séjour en enfer. Tu aimes le combat et le triomphe. Ton cœur s’est durci au fil de ton existence. Tu es devenu violent, mais tu sais aussi planifier. Tu es froid et efficace. Tu ne crains pas la solitude, mais tu as aussi du courage. Beaucoup de courage. De plus, il reste en toi une étincelle de bonté qui mérite d’être sauvée. Ces caractéristiques, tu les as laissées mener ta vie et c’est le pire en toi
Weitere Kostenlose Bücher