Le Baptême de Judas
savions désormais que l’Ordre n’était qu’une façade, son autorité y était souveraine. Esclarmonde, Pernelle et Peirina n’auraient d’autre choix que de se plier à sa volonté et de le laisser repartir avec la première part sans qu’il ait à s’expliquer. Il lui suffirait de parler sous l’abacus.
En attendant son retour, nous passâmes nos journées à préparer minutieusement la façon dont nous procéderions, assis autour de la table dans la pièce où j’avais eu ma première conversation avec Norbert. On nous portait périodiquement des repas frugaux et du vin. La nuit, nous dormions sur une paillasse dans des quartiers humides creusés à même le roc.
Notre plan était simple. Comme convenu, je serais celui qui remettrait la première part à Montfort et à Arnaud Amaury pour qu’à leur tour ils la transmettent au pape. Cela allait de soi. La vie de Cécile tenait à ma seule présence. Si quelqu’un d’autre que moi se présentait avec les parchemins, Montfort se ferait un plaisir de les accepter puis de la supprimer, non sans lui avoir d’abord infligé les pires sévices.
Une fois entre les mains d’Innocent, les documents seraient détruits. La preuve que Ieschoua avait survécu à son supplice disparaîtrait pour toujours. Le mensonge millénaire de la résurrection deviendrait la seule vérité et la puissance de l’Église serait assurée. Elle continuerait à dominer les souverains, à terroriser les fidèles, à massacrer au nom de Dieu, à marchander l’accès au salut. C’était le prix à payer pour que les mots de Yehohanan restent en sécurité, en souhaitant qu’un jour les circonstances seraient propices à leur révélation. En attendant la paix, il y aurait la guerre. Ainsi était fait l’homme.
Une fois Innocent satisfait, nous espérions qu’il considérerait la chasse comme terminée, n’ayant plus de raison valable de laisser le massacre se poursuivre dans le Sud. Aussi avions-nous convenu qu’en plus de la vie de Cécile, nous exigerions qu’il décrète la fin de la croisade, que le roi Pedro d’Aragon réclamait de plus en plus ouvertement. Aux yeux du pape, la première part valait infiniment plus que toutes les richesses du Sud et, par la bouche de son légat, auquel il avait délégué son autorité en la matière, il n’aurait d’autre choix que de céder à notre demande. C’était, en tout cas, ce que nous escomptions.
Pour nous assurer qu’on ne nous joue pas de mauvais tour, nous avions décidé que je ne porterais pas les documents sur moi lors de la rencontre. Ils seraient plutôt confiés à Odon, qui ne se joindrait pas au groupe que je formerais avec Eudes, Ugolin, Roger Bernard, Payraud et trois de ses hommes. Le garçon resterait en retrait, en attente de notre signal. Ainsi, il ne serait pas exposé à un éventuel danger et, si quelque chose d’inattendu survenait, il pourrait toujours ramener la première part à Norbert et préserver ainsi sa valeur d’échange.
Nous devions faire en sorte que Montfort sorte de Carcassonne pour procéder à la transaction. Il était hors de question de pénétrer volontairement dans la gueule du loup avec les documents. Dès que nous aurions remis la première part, nous serions occis, Cécile comme les autres. Véran suggéra que nous fixions le rendez-vous là où je l’avais laissé pour mort. L’endroit était isolé et assez éloigné de la cité pour nous donner un minimum de sécurité.
Il restait à faire parvenir nos conditions à l’ennemi et le plus apte à livrer le message était Véran. Aux yeux de Montfort et d’Amaury, il était toujours à leur solde et rien ne pouvait le rendre suspect. Ses oreilles coupées et la plaie grossièrement recousue qu’il arborait à l’abdomen suffiraient à les convaincre qu’il avait été capturé, torturé et contraint à livrer l’ultimatum. Il subirait sans doute la colère de Montfort, mais il serait cru.
Après quelques jours de planification, nous étions aussi prêts que nous ne le serions jamais. Il ne restait qu’à attendre le retour d’Eudes.
J’avais fait le voyage les yeux bandés depuis les environs de Montségur jusqu’au repaire du Prætorium et il nous avait fallu plusieurs jours pour arriver à destination. Eudes, lui, devait parcourir le chemin dans les deux sens. Ce ne fut qu’une semaine après son départ qu’il reparut enfin.
Nous fourbissions nos armes dans la salle principale tout en discutant
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