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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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moi, la belle boucle de Bérénice, fixée au ciel pour y briller pour les humains au milieu d’un tel nombre d’astres, Cypris me plaça, étoile nouvelle, dans l’antique chœur des astres. »
    Hypatie s’était mise à chanter les derniers vers, tandis que le son de la flûte continuait à s’entendre au loin. À nouveau subjugué, Amrou s’exclama :
    — Voilà une bien harmonieuse légende que raconte ton ciel ! Et l’on dirait, douce Hypatie, que sur la scène céleste, chaque figure continue de jouer le rôle qu’elle tenait sur terre, parmi ses complices ou ses ennemis.
    — Tu dis vrai, opina la jeune femme. Apollon a placé sa flèche au ciel, Dionysos y a posé la couronne de son épouse Ariane, Zeus a logé son ancienne maîtresse Io, transformée en Ourse par Artémis…
    Amrou regarda d’un air absent par-dessus l’horizon devenu presque noir. Son intelligence chaude illumina tout à coup ses yeux, et il dit :
    — Nous, les Bédouins, nous n’avons souvent pour toit que la voûte étoilée. Et nulle part le ciel ne paraît plus proche de la terre qu’au milieu du désert. Le désert nous invite au ciel. Dans la solitude et le silence des dunes, l’esprit qui pense subit par degrés la dilatation de l’infini. Plusieurs fois, jadis, aux côtés de mon grand-père, j’ai ressenti cette expérience intérieure, presque mystique… Je voyais, j’entendais, j’adorais la musique du ciel dans le silence universel…
    Il se tut quelques instants, comme s’il écoutait une musique perdue. Puis il reprit d’une voix durcie :
    — Depuis que je me suis converti à la parole du Prophète, je me convaincs qu’il faut se contenter de la pure contemplation des merveilles d’Allah. Contempler, c’est recevoir, recevoir, c’est être reçu. Alors, à quoi bon mesurer mille et une distances célestes, à quoi bon les calculs compliqués d’Aristarque et d’Ératosthène, à quoi bon les observations minutieuses de ton Hipparque et de tous ces astronomes ? Mesure simplement la sincérité et la piété dans ton cœur, et tu sauras les distances dans le ciel ! D’ailleurs, si je lui parle d’astronomie, le calife Omar ne manquera pas de me demander à quoi l’étude savante du ciel peut bien servir pour répandre la foi de l’Islam.
    — Si tu penses ainsi, laisse-moi te poser une simple question, Amrou. Lorsque toi et tes frères musulmans vous accomplissez vos prières, ne devez-vous pas vous tourner vers votre ville sacrée ?
    — Cela est vrai, car le Coran a dit : « Tournez vos visages vers Lui où que vous soyez. » Au début, tout comme les Juifs, les musulmans priaient en direction de Jérusalem, mais deux années après l’arrivée du Prophète à Médine, il nous fut demandé de tourner le visage vers la Kaaba, le temple sacré remontant à l’époque du prophète Abraham, à La Mecque.
    — J’ai pu remarquer qu’ici, à Alexandrie, nombre de tes frères ne sont pas vraiment d’accord entre eux lorsqu’il s’agit de poser au sol leur tapis de prière et de l’orienter vers La Mecque lointaine…
    — Il t’est facile de railler l’ignorance de mes soldats, des hommes simples et frustes, mais animés de la vraie foi. Sache que dans toutes les mosquées de mon pays, une niche pratiquée dans la muraille et orientée très précisément vers La Mecque a été construite. À l’heure des prières, tous les croyants se prosternent face à cette niche, la Mihrâb, et tous sont unis dans la même direction, la Qibla.
    — Maintenant réfléchis, raisonna Hypatie sans se démonter le moins du monde. Ton Islam ne veut-il pas étendre son pouvoir à la surface de la terre entière ? As-tu alors songé, Amrou, à la difficulté de trouver précisément la Qibla depuis n’importe quel lieu d’un si vaste monde ? Reconnais que le problème échappe au monde de la foi, pour entrer dans celui de la géométrie et de la géographie – donc de l’astronomie !
    — Eh bien, te voilà revenue, bien entendu, à glorifier le génie de ton Euclide !
    — Tu te trompes, car cette fois, ce n’est pas la géométrie plane d’Euclide qui saura donner la réponse, mais la géométrie sphérique d’Hipparque.
    — Cela se complique, on dirait !
    Amrou dit cela en plaisantant, pour éviter la pente d’une dispute qu’il ne souhaitait pas. À vrai dire, il n’avait en ce moment guère la tête ni aux raisonnements géométriques, ni même à la défense de la

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