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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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si elle avait peur de perdre le fil de sa récitation, Cassiopée avait eu la vanité de se croire plus belle que les Néréides, malgré la couleur noire de sa peau. Les nymphes supplièrent Neptune, leur père, de les venger de cet affront. Le dieu des mers dépêcha un monstre, qui se mit à exercer d’épouvantables ravages sur les côtes de Syrie. Pour conjurer le fléau, Céphée enchaîna sa fille à un rocher et l’offrit en sacrifice au monstre…
    Amrou esquissa une moue dubitative.
    — Observe, continua Hypatie d’un ton moins sentencieux, observe la constellation d’Andromède. Tu peux la voir tout entière avant l’obscurité complète de la nuit, tant sa tête étincelle, tant ses larges épaules luisent de blancheur. Autour de sa taille brille une petite ceinture de feu qui relève sa robe… Elle étend ses bras enchaînés, comme si la force du rocher les maintenait.
    — Je vois surtout, dit malicieusement Amrou, que, non contente d’être belle et sage, tu es aussi formée aux belles-lettres.
    — En vérité, je n’ai fait que réciter de mémoire les vers du grand poète Aratos.
    — Encore un Grec d’Alexandrie ?
    — Un élève d’Eudoxe, l’un des premiers à venir au Musée dans les pas d’Euclide. Mais il était plus enclin à la poésie lyrique qu’aux rigueurs du raisonnement géométrique. Un peu comme toi, général ! Alors, Aratos a préféré chanter les constellations dans un poème, qui l’a rendu célèbre dans la Grèce entière.
    — Belle demoiselle, dit Amrou en s’approchant imperceptiblement de la jeune femme, je ne me lasse pas d’écouter le son mélodieux de ta voix. Ta bouche aussi finement dessinée que le sceau de Salomon, ta chevelure qui ondule sous la brise…
    — Général, interrompit fermement Hypatie, je te prie à nouveau de changer de sujet.
    Puis, d’un ton moins sévère, elle ajouta :
    — Si tu prétends caresser une chevelure, use plutôt de ton œil pour embrasser ce petit amas d’étoiles. Là, dans l’azur, entre Arcturus et le Lion. On l’appelle la Chevelure de Bérénice.
    Le général toussa, vexé par la rebuffade.
    — Ne m’avez-vous pas déjà parlé d’une Bérénice, épouse du premier Ptolémée ? fit-il boudeur, mais voulant prouver qu’il avait bonne mémoire.
    — En effet, mais cette Bérénice-là vécut un peu plus tard, et elle fut l’épouse de Ptolémée III Evergète, le bienfaiteur. Écoute son histoire. Elle n’est point destinée à Omar, mais à ton seul agrément, car c’est une histoire de poètes.
    — Dans ces conditions, j’écoute et j’obéis, dit Amrou en faisant une mimique comiquement résignée.
    La jeune savante raconta doctement :
    — À peine monté sur le trône, Evergète dut aller combattre le roi Séleucide, qui tenait la Syrie. Bérénice, inconsolable, jura à Vénus de sacrifier son opulente chevelure si son bien-aimé revenait victorieux. Le jour même du retour du roi, elle porta au temple cette fameuse chevelure. Mais pendant la nuit suivante, elle fut volée par un prêtre de Sérapis, qui s’offusquait de voir la reine sacrifier à une déesse grecque. Désespoir de Bérénice, fureur d’Evergète ! Seul un astronome sut calmer le ressentiment des époux. Conon de Samos, dont la science était très vénérée – n’avait-il pas écrit sept livres d’astronomie et correspondu avec Archimède de Syracuse ? –, leur montra cet amas d’étoiles, affirma qu’il venait d’apparaître dans le ciel, et qu’il n’était autre chose que la chevelure elle-même, emportée par Vénus dans la voûte étoilée !
    — Une reine, jeune surtout, ironisa Amrou, convaincue d’être d’une autre race que le commun des mortels, était assurément dans les conditions d’esprit pour croire à une fable aussi païenne !
    — Les princes, païens ou pas, sont toujours avides d’écrits rédigés à leur gloire. Les savants et les poètes connaissent bien ces faiblesses. C’est sans doute pourquoi, après que Conon eut dessiné une chevelure sur le globe céleste du Musée, le grand Callimaque, alors au crépuscule de sa vie, en fit une élégie qui immortalisa la reine Bérénice :
    « J’étais fraîche coupée, et mes sœurs me pleuraient, quand tout à coup, du tournoiement rapide de ses ailes, le souffle doux du zéphyr m’enlève à travers les nuées de l’éther et me dépose au sein vénérable de la divine nuit Cypris. Et pour que j’y parusse,

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