Le bouffon des rois
maréchal de Gié couvrait largement les
autres voix plus mesurées. Mais mon « Beau Sire » – s’il parlait
peu, il écoutait avec attention et réfléchissait beaucoup – retrouvait son
éloquence naturelle pour énoncer d’une voix veloutée une décision qui était
irrévocable.
Il avait hérité d’un royaume bien isolé diplomatiquement.
Les envieux pessimistes, qu’aucun gouvernement ne peut éviter, prédisaient
qu’il lui faudrait des années pour venir à bout des problèmes auxquels il
devrait faire face. En moins d’un an, il résolut pratiquement tout. Je crois
que c’est le seul monarque qui a donné la preuve que l’on pouvait être un grand
politique tout en étant honnête, franc, généreux et spontané.
Il avait le don de discerner ce que les grands seigneurs du
royaume, toujours jaloux du pouvoir absolu et du précepte du don d’obéissance,
envisageaient plus pour leur profit personnel que pour celui du peuple. Au
cours d’un conseil qui se révélait hostile à sa politique de bienfaits, il nous
étonna tous par la soudaine colère qui l’anima quand on lui rapporta qu’un de
ses grands seigneurs avait réussi à récolter six mille livres d’excédent
d’impôts dans sa province prospère. Louis XII le convoqua sur-le-champ. Le
malheureux, croyant être chaudement félicité, se transforma en statue de pierre
en entendant le roi lui adresser de sévères remontrances :
« Je refuse que l’on accroisse les tailles. Nous
redistribuerons cette somme à tous ceux que vous avez dépossédés. Je sais que
vos comptes sont bien tenus, monsieur de Montmorency, et je vous en sais gré.
Vous donnerez votre livre à M. Robertet, mon trésorier. Je sais que tout y
est consigné et nous pourrons ainsi rendre leur argent à ces infortunés que
vous avez taillés en pièces. »
Quand M. de Montmorency se fut retiré avec force
courbettes, plus démuni que jamais, le roi profita des regards désapprobateurs
de ses conseillers pour leur assener un ordre qui les plongea dans une stupeur
qui éternisa un silence déjà pesant :
« Le peuple paie déjà trop d’impôts. À partir
d’aujourd’hui et cela à chaque nouvelle année, vous octroierez à mon peuple un
dégrèvement d’un dixième sur ses impôts. »
Cette initiative qui, je crois, n’a pas été souvent imitée
par les gouvernants du monde entier le rendit très populaire et très aimé, tu
t’en doutes. C’est ainsi qu’il fut nommé aussitôt « père du peuple ».
Cette flatteuse appellation ne sera jamais usurpée et il la
conservera tout au long de son règne et bien au-delà puisque c’est ainsi que
son nom est resté dans notre Histoire. Cependant, c’est un des rois de France
que l’on a complètement oublié. Qui connaît encore Louis XII ? Cette
injuste omission dans laquelle on l’a claquemuré prouve bien que l’on n’a
aucune reconnaissance pour ceux qui respectent les petites gens. Le peuple
français lui-même mécontent en permanence, bien qu’il soit saigné à blanc et
parfois affamé par des dirigeants sans scrupule, est sujet à l’éblouissement
quand on lui jette à la face les dépenses somptuaires, les fastes et le honteux
gâchis d’un mode de vie royal.
Ne crois pas que le peuple ne payait plus d’impôts, la
taille, même avec sa réduction, restait toujours aussi lourde et c’était sans
compter – si je puis m’exprimer ainsi – les impôts indirects sur le
grain, le vin, la farine, le bétail, le cuir, la laine, le bois, les pierres,
les métaux. Ils étaient variables d’une région à l’autre. Ajoutons les péages
que l’on devait verser au seigneur du canton lorsqu’il fallait franchir un
pont, passer sur l’autre rive d’un fleuve en « empruntant » le bac,
ou même prendre un chemin qui traversait des terres appartenant à de grands
féodaux. Louis XII a tenté de supprimer ces abus de pouvoir mais je crains
qu’il n’ait été souvent désobéi !
J’allais omettre de te parler des droits de gruerie sur la
vente des bois et l’usage des forêts. Et puis la gabelle, cet impôt sur le
commerce du sel, était toujours de mise. J’avais composé une chanson qui
donnait une mine renfrognée à chaque receveur collecteur quand je l’entonnais
d’une voix nasillarde :
Si tu as trop
de sel
Tu paieras la
gabelle.
Si tu refuses
de la payer
L’apostille
sera salée.
Tu perdras ta
belle
Viendront les
écrouelles.
Pour ne pas
payer
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