Le Brasier de Justice
provient du petit vignoble d’un cousin de feu maître Hase qui possédait bien des qualités, dont le goût du bon vin, expliqua l’aubergiste avec un regard triste qui indiqua à cadet-Venelle qu’elle ne faisait pas partie de la catégorie des veuves soulagées.
Il attendit qu’elle récupère un gobelet et s’installe en face de lui, et la servit en disant :
— Je suis désolé, maîtresse Hase.
— Oh, ça fait deux ans qu’il a trépassé. Des tonneaux mal arrimés qui ont roulé hors du chariot. Mon époux a été écrasé. Robuste carcasse, son agonie a duré quatre jours. J’en cauchemarde encore.
— Une stupide histoire, mais elles le sont toutes, déclara l’exécuteur.
— Bah, mais je ne vais pas vous assombrir l’humeur et l’appétit avec ces vilains souvenirs, se reprit-elle. Et donc, vous êtes en notre bonne ville pour affaires ?
— Oui-da. Vous avez entre vos murs un des meilleurs parcheminiers 6 du royaume.
— Oh, ça finira par disparaître, les parchemins 7 .
— Ils sont encore très recherchés pour les actes importants. Malheureusement, le papier, quoique moins onéreux, s’abîme plus vite.
— Toutes ces nouvelles inventions n’ont pas que du bon, si m’en croyez, approuva maîtresse Hase.
Ils devisèrent encore quelques minutes d’aimables banalités et cadet-Venelle en vint à ce qui l’intéressait.
— Ainsi que je vous l’ai annoncé, je viens de Mortagne. Une de mes anciennes connaissances demeure maintenant en votre ville. Un officier briseur et son épouse, les Lafoi.
— Si fait, ils sont parfois venus souper ici. Des gens d’agréable fréquentation et pas fiers, avec ça. Pourtant, il y a de l’argent, rien qu’à voir tous les aménagements apportés à leur hôtel, un des plus beaux de la ville.
— Vous les connaissez donc ?
— Tout le monde se connaît chez nous, messire.
— Garin Lafoi avait plaisante réputation à Mortagne, mentit cadet-Venelle.
— Voilà qui ne m’étonne guère. Il est homme de générosité, de joviale humeur, et ne rechigne jamais à l’aumône, pas plus que sa dame.
Hardouin termina son écuelle de purée de févettes, s’enthousiasmant sur son goût onctueux pour le plus grand plaisir de maîtresse Hase, à qui il resservit un gobelet de vin. Elle le remercia et se leva en annonçant :
— Je vais chercher le fromage, un chèvre mollet 8 à souhait. À volonté, tout comme le pain. Ma souillon de cuisine ne m’aide que quelques heures le soir. Les affaires ne sont pas si réjouissantes que je puisse l’engager tout le jour.
Profitant de sa courte absence, Hardouin cadet-Venelle réfléchit. Il ne tenait pas à éveiller la suspicion de la tavernière par des questions trop insistantes. D’un autre côté, les aubergistes de tout le royaume partageaient une caractéristique : ils pouvaient ouïr bien des clabaudages de voisinage sans pour autant les propager, par prudence commerciale. Mines de renseignements, il fallait aussi leur tirer les vers du nez 9 , d’autant que maîtresse Hase lui semblait femme de bon sens.
L’aubergiste déposa devant lui un plateau d’osier lourd de plusieurs fromages de chèvre et d’une belle part de pain, ainsi qu’un plat de terre cuite dans lequel s’alignaient d’appétissantes croûtes dorées 10 . Avançant avec prudence, Hardouin déclara :
— Vos tristes confidences sur l’affreux trépas de votre époux m’ont remis Garcin Lafoi en tête.
— Que me dites ? demanda maîtresse Hase, discrète mais curieuse.
— Oui-da, une épouvantable affaire qui stupéfia et horrifia Mortagne il y a… environ cinq ans. Sa première femme, Muriette, fut atrocement assassinée par l’une de leurs servantes, une simple dont j’ai oublié le nom.
— Doux Jésus, souffla maîtresse Hase en plaquant la main sur le petit crucifix d’améthyste qui pendait à son cou. Je l’ignorais.
— Une épouvante, un carnage à ce qu’on me conta. Sans doute est-ce pour cette raison que l’officier briseur déménagea et acheta cet hôtel particulier en votre bonne ville. Selon moi, il ne pouvait plus supporter les terribles souvenirs qui le liaient à Mortagne.
— Ah ça ! Mais… il a racheté cet hôtel particulier, bien mal en point à l’époque, il y a… neuf ou dix ans… Ainsi que je vous l’ai dit, il y a entrepris d’importants travaux qui ont duré des années. Au point que nous nous demandions si quelqu’un viendrait un
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