Le bûcher de Montségur
coupe, j’aurais bu le vin toute ma vie. » La « coupe » n’était autre chose que le crâne de Frère Guillaume-Arnaud 179 .
Au matin de l’Ascension, la troupe arriva à Saint-Félix. La grande nouvelle s’était déjà répandue dans le pays : le curé du bourg, à la tête de ses ouailles, vint féliciter les meurtriers, qui entrèrent dans Saint-Félix aux acclamations de la foule.
Le comte commençait sa guerre de libération. Au lendemain du massacre d’Avignonet, Pierre-Roger de Mirepoix envoyait deux sergents d’armes à Isam de Fanjeaux, pour demander si les affaires du comte de Toulouse allaient bien. Elles allaient bien, en effet : en trois mois, avec l’aide de Raymond Trencavel, Raymond VII allait se rendre maître du Razès, du Termenès, du Minervois et entrer en triomphe à Narbonne que lui livrait le vicomte Aimery ; et pour bien marquer l’annulation du traité de Paris, il allait reprendre solennellement son titre de duc de Narbonne 180 . Les Occitans purent croire un instant que l’heure de la délivrance était arrivée.
Le meurtre de Guillaume-Arnaud et de ses compagnons n’était ni une victoire militaire, ni un acte d’héroïsme ; c’était même, à ne considérer que les faits tout nus, une histoire plutôt sordide. Moins sordide, à tout prendre, que des bûchers allumés au nom du Christ, mais les actes de justice légale bénéficient d’un préjugé favorable, parfois, aux yeux de ceux-là mêmes qui les condamnent. Le massacre d’Avignonet avait aussi été un acte de justice : de cette justice populaire qui finit par avoir raison des lois, des pouvoirs publics et du temps. L’Église ne mit pas Guillaume-Arnaud au rang des martyrs, et les meurtriers, malgré le triomphe définitif de l’Inquisition, restèrent impunis.
La révolte de Raymond VII fut un échec. Le comte avait sans doute sous-estimé l’énergie et les talents militaires des chefs français, et surestimé les forces de ses alliés ; erreur bien excusable, la situation où il se trouvait était si terrible qu’il devait être enclin à prendre ses espoirs pour des réalités. Le temps travaillait pour le roi, dont la domination dans le Languedoc oriental affaiblissait progressivement les forces de résistance du pays par un contrôle de plus en plus serré, par l’augmentation du nombre des fonctionnaires et chevaliers français, par l’appauvrissement de la bourgeoisie et l’élimination de la noblesse indigène.
Raymond VII, tant qu’il n’avait pas de fils, n’était pour ses alliés qu’un bâton brisé sur lequel il ne faut pas risquer de trop s’appuyer : le comté de Toulouse n’était plus considéré comme un pays ami ou ennemi, ni comme une zone d’influence ; il se trouvait réduit aux proportions de la personne assez fragile du comte lui-même, lequel ne prenait guère le chemin de vivre assez longtemps pour voir son fils non encore né parvenir à l’âge d’homme et tenir tête au roi de France.
Après Hugues de Lusignan, Henri III est battu par l’armée française à Taillebourg, et se replie sur Bordeaux ; ni le roi d’Aragon ni le comte de Provence ne se pressent de soutenir des alliés aussi malchanceux ; les vassaux du comte de Toulouse, sachant la partie perdue, ne songent plus qu’à éviter la réapparition de l’armée royale sur leurs terres. Pendant que Raymond VII, après avoir signé un nouveau traité d’alliance avec le roi d’Angleterre, se rendait en Agenais pour assiéger le château de Penne tenu par les Français, Roger IV de Foix offrait sa soumission au roi et rompait définitivement le lien de vassalité qui le liait au comte de Toulouse.
Raymond VII, se voyant abandonné de tous, n’eut plus qu’à se soumettre, en faisant appel à la médiation de la reine-mère Blanche de Castille ; il remit au roi, en gage de sa soumission, les places de Bram et de Saverdun et tout le Lauraguais, et signa la paix à Lorris, le 30 octobre 1242.
La révolte était terminée : si bien terminée que le roi ne jugea même pas bon de punir sévèrement ces vassaux qui avaient porté les armes contre lui, au mépris de leurs serments. En janvier 1243, les comtes de Toulouse et de Foix se rendaient à Paris pour renouveler leur hommage à la couronne. Ce fut à Blanche de Castille que le comte dut (selon G. de Puylarens) les conditions relativement douces du nouveau traité de paix ; la régente n’avait nul intérêt à appauvrir
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