Le bûcher de Montségur
des domaines qui allaient revenir à son fils. Le meilleur moyen de rendre le comte de Toulouse inoffensif était encore de l’empêcher de se remarier, ce à quoi Blanche de Castille allait s’employer avec succès, dans les années qui suivirent. En attendant, Raymond VII promit – une fois de plus – de purger définitivement ses terres de l’hérésie. Blanche de Castille prenait très à cœur l’affaire de la foi, et le comte, de son côté, ne demandait pas mieux que de persécuter les hérétiques, pourvu qu’on le laissât le faire lui-même. Et, ne pouvant éliminer le roi de France, il allait du moins essayer de se débarrasser de l’Inquisition.
À peine revenu dans le Languedoc, le comte fit réunir un concile composé par la plupart des évêques et des grands abbés du pays, bien qu’il fût encore sous le coup de l’excommunication lancée contre lui par Frère Ferrier après le meurtre des inquisiteurs, et par l’archevêque Pierre Amiel après son entrée à Narbonne. Le concile avait pour but l’extermination de l’hérésie. L’archevêque de Narbonne lui-même présidait cette assemblée 181 . Pour le comte, le véritable but de ce concile était l’élimination des inquisiteurs au profit de la juridiction épiscopale.
À cette manœuvre dirigée beaucoup plus contre eux que contre l’hérésie, les Dominicains répondirent par une démarche qui, si elle réussissait, devait combler les vœux du comte de Toulouse : ils demandèrent au pape de relever leur ordre des fonctions inquisitoriales, qui ne leur causaient que des ennuis et leur attiraient une telle hostilité. Et il est vrai que nombre de Dominicains qui n’étaient nullement inquisiteurs avaient payé pour l’impopularité de leurs frères, puisque les couvents de Frères Prêcheurs étaient attaqués et saccagés dans beaucoup de villes. Mais d’autre part, le sort de Guillaume-Amaud n’était pas fait pour décourager les chefs du mouvement, hommes aussi peu sujets à la peur qu’à bien d’autres sentiments humains ; il devait plutôt stimuler leur énergie. Comment ces terribles lutteurs eussent-ils envisagé d’abandonner la partie, au moment où l’ennemi était à demi vaincu et le roi de France triomphait ? Ils tenaient surtout à faire comprendre au pape à quel point leur action était redoutée, donc efficace. Négligeant leur demande, Innocent IV les confirma dans tous leurs pouvoirs, sans les soumettre en aucune façon à la juridiction épiscopale ; les prêcheurs, de leur côté, pour désarmer les évêques qui pouvaient leur être hostiles, s’empressèrent d’accorder une place importante à l’ordinaire dans la procédure de leurs tribunaux ; concession purement honorifique, l’autorité suprême en matière d’hérésie appartenant toujours à l’Inquisition dominicaine, de auctoritate apostolica .
La tentative du comte avait donc échoué. Du reste, son excommunication n’était toujours pas levée, on exigeait de lui des actes, non des paroles. Au concile de Béziers, en 1243, les prélats du Languedoc décidèrent d’en finir avec Montségur (que le comte avait déjà, sans grande conviction, tenté de prendre) et qui se trouvait être le repaire des assassins de Guillaume-Araud. La révolte et la défaite du comte forçaient l’Église et le roi à une sévérité accrue ; vaincu, Raymond VII ne cherchait plus qu’à limiter les dégâts, en sacrifiant ceux de ses sujets qu’il ne pouvait plus défendre sans se brouiller avec ses vainqueurs et avec ses alliés éventuels.
Hugues des Arcis, nouveau sénéchal de Carcassonne, et Pierre-Amiel, archevêque de Narbonne, prirent donc la résolution de rassembler une armée assez considérable pour mettre enfin le siège devant cette fameuse forteresse que la rumeur publique leur désignait comme le quartier général de l’hérésie. En avril 1243, après l’effondrement de la dernière tentative de révolte armée du Languedoc, dans cette atmosphère de découragement général où chacun ne songeait qu’à tirer son épingle du jeu, Montségur, isolé, irréconciliable, se trouvait – bien malgré la volonté de ses défenseurs – destiné à jouer le rôle du bouc émissaire de la résistance occitane.
Le jour où Raymond de Perella avait accepté de faire de son château le siège officiel de son Église, il avait prévu le danger auquel il s’exposait ; excommunié et condamné à mort par contumace, il savait
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