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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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pourquoi en réalité je me trouvais là. On me confiait
d'humbles tâches, les plus viles des plus viles. Sur un point, pourtant, le
père gardien ne souffrait aucune opposition.
    — Si sœur Mathilde désire
prier près du tombeau de feu la reine, avait-il déclaré à une réunion du
chapitre, laissez-la faire.
    Je m'y employais tous les jours,
vers trois heures de l'après-midi, l'église alors était vide, les frères ne s'y
assemblaient jamais à ce moment de la journée pour chanter les louanges de
Dieu. Je me tapissais comme un chien et appuyais la joue contre la pierre
froide, laissant ma main courir sur les sculptures. En esprit, je me retrouvais
dans un luxuriant jardin ou une superbe pièce au sol couvert de dalles en
losange, aux murs tendus de tapisseries. Un feu ronflait dans la cheminée et
partout flottait le parfum entêtant de ma maîtresse. Je lui parlais, morte, comme
je lui avais parlé, vivante. Elle m'appelait sa Dame de l'Enfer. J'étais la
gardienne de ses noirs secrets. Mais je m'égare. L'été dernier, je fus sur sa
tombe la veille de la naissance de Jean-Baptiste. Je me souviens d'avoir
contemplé un tableau sur le mur représentant le bon larron au Golgotha. Le
corps sanglant et martyrisé pendu à la croix, le visage torturé par les affres
de l'agonie, il se tournait pour parler au Sauveur et implorer son salut. Au
pied de la croix se tenaient les bourreaux du Christ dotés de figures de
singes. C'était une scène opportune. Je me suis souvent comparée à ce bon
larron, mais il arrive que, m'apitoyant sur mon sort, je laisse cette émotion
m'embraser ainsi que le feu dévore le petit bois sec. En cet après-midi d'été,
je fermai les yeux en essayant d'ignorer ce tableau, ces visages simiesques,
ces bouches grimaçantes, ce corps suspendu ruisselant de sang.
    — J'ai vu tant de cadavres,
murmurai-je.
    Je ne peux fermer la porte au
passé. Le trouble bondit du cœur ténébreux d'un cauchemar, un souvenir de la
ville de Hereford, et de Despenser pendu au gibet de soixante-dix pieds de
haut ; Isabelle et Mortimer contemplant son dernier supplice tout en
mangeant et buvant à la santé l'un de l'autre dans leurs gobelets raflés lors d'un
pillage. Le corps de Despenser dansant comme une marionnette et donnant des
coups de pied dans l'air ; le bourreau montant à l'échelle et descendant
l'homme à moitié mort pour lui ouvrir le ventre et lui arracher les testicules.
Le sang jaillissant telle de l'eau d'une tonne défoncée pendant que les
hurlements de la victime emplissaient la place du marché.
    — J'en ai tant vu,
chuchotai-je, tant.
    C'est alors que j'entendis sa
voix, ainsi qu'elle le faisait d'habitude, debout derrière moi, en susurrant comme
si nous étions des amants.
    — Purifiez-vous,
Mathilde ! Confessez vos péchés, retrouvez la paix.
    J'en avais parlé au père gardien.
Il s'était contenté de rire. Il avait prétendu que les morts étaient trop
occupés pour se soucier de nous. Je ferais mieux de regarder dans ma propre
âme. Il m'entretenait près d'une fontaine dont l'eau giclait. Pour une raison
ou une autre je me mis en colère ; c'était la première fois depuis des
années, et sans nul doute depuis mon arrivée chez les franciscains. Je me comportai
comme une prisonnière enfermée dans un sombre cachot qui se serait jetée contre
la porte et aurait frappé du poing les barreaux, capable de tout pour sortir.
Je bondis et me mis à marcher de long en large, ce qui intrigua le père
gardien.
    — Qu'y a-t-il,
Mathilde ?
    Je tombai à ses pieds et serrai
ses genoux osseux en le fixant d'un air farouche, un air qu'il ne m'avait
encore jamais vu. Il avait oublié que j'avais jadis pris part au grand jeu de
la Fortune. Que j'avais vu jaillir le sang frais ! Que j'avais combattu
toute ma vie parmi la foule de la Cour ou contre de furtifs assassins
silencieux. Il esquissa un signe de croix au-dessus de ma tête.
    — Qu'y a-t-il,
Mathilde ?
    — Qu'y a-t-il, père
gardien ? répondis-je d'une voix rauque. Je vous narrerai ma vie, je vous
avouerai mes péchés.
    Ses yeux fatigués brillèrent. Je
me levai à moitié et, les lèvres contre son oreille, commençai ma confession.
Très vite, le vieux visage perdit toutes ses couleurs ; le père gardien
s'écarta et me fixa avec horreur.
    — Il me faudrait voir
l'évêque, murmura-t-il. De tels péchés !
    — De tels péchés, père
gardien ? rétorquai-je. Que dit l'Évangile ? « Si vos

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