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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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fraîche. Le
jambon arrosé de jus qui rôtissait au-dessus du feu embaumait l'air. Un valet
brèche-dent à la chevelure hirsute — j'ai de bonnes raisons de ne pas
l'avoir oublié — me désigna une table. Ap Ythel restait sur le seuil
en jetant des regards curieux à l'intérieur. Je ne tins pas compte des signes
du serviteur et m'avançai vers le comptoir où le tavernier, un échalas d'homme
qui disparaissait presque sous un épais tablier de cuir, remplissait les chopes
de pêcheurs qui venaient de vendre leur prise du jour. Je m'enquis de maître
Arnaud l'archier et dis que je reviendrais à vêpres. L'aubergiste me regarda en
levant les yeux au ciel.
    — Du bordeaux !
s'exclama-t-il. Le meilleur ? Bien sûr que nous en avons, venez donc voir
la barrique !
    Il leva la main.
    — Pas encore mis en perce, en
provenance directe de Gascogne, venez, venez, votre maîtresse sera
satisfaite ! Je n'eus d'autre choix que de le suivre au fond de la taverne
et dans l'escalier de la cave. Et il ne cessa de vanter « le meilleur des
bordeaux ». Arrivé en bas, il ouvrit la porte et me fit entrer. J'attendis
qu'il allume des chandelles dans leurs lanternes de corne.
    — Les contrebandiers s'en
servaient, expliqua-t-il en déplaçant un faux tonneau pour montrer le passage
qu'il dissimulait.
    Il frappa à l'huis et Demontaigu
sortit. Le tavernier s'inclina et s'en alla. Le templier fit quelques pas pour
se placer dans une faible flaque de lumière.
    — J'étais sûr que vous
viendriez, remarqua-t-il à voix basse. J'avais demandé à maître Thomas de vous
conduire ici sur-le-champ. Ah ! Gaston a été arrêté ; il s'était rasé
le crâne et je ne l'ai point reconnu.
    Il me scruta.
    — Nous étions si près de la
réussite.
    Je lui racontai que Gaston jouait
les déments, les fols, qu'il voulait le consolamentum et qu'il chercherait la
croix des yeux.
    — Il veut être absous,
répondit-il. Que Dieu l'aide. Il se fait passer pour écervelé afin qu'on ne le
questionne pas. Écoutez, quand vous rentrerez, faites-lui parvenir un
message : dites-lui que vous lui trouverez un crucifix. Il comprendra.
    — Et céans, êtes-vous en
sécurité ?
    — Le fils du tavernier était
un templier chevalier à Bordeaux. Ce n'est pas un traître.
    Demontaigu traversa la cave et
revint avec un tonnelet. Le sceau, sur la bonde, attestait que ce bordeaux
provenait d'un vignoble proche de Saint-Sardos.
    — Donnez-le à votre
maîtresse.
    — Elle a compris ce que vous
vouliez dire, remarquai-je en prenant le tonnelet, quand vous m'avez priée de
réfléchir comme une nonne : vous voulez faire comme moi, vous abriter en
sa maisnie.
    Je le scrutai avec tant de sérieux
qu'il rit et m'embrassa sur le front.
    — Je suis prêtre, Mathilde,
et pourtant vous me regardez comme...
    Il hocha la tête.
    — Faites savoir à votre
maîtresse que je serai son loyal clerc ; je lui serai fidèle tant qu'elle
le sera envers moi.
    Il m'embrassa derechef sur le
front.
    — Allez, Mathilde, et ne
revenez point ici demain.
    Bien entendu, je désobéis. Je
retournai à la Tour dans un état de grande agitation. Si Demontaigu assistait à
la pendaison, cela le rendrait vulnérable. Isabelle en tomba d'accord.
Demontaigu pouvait entrer dans sa maison en tant que clerc, mais encore
fallait-il qu'il survive aux dangers du jour de l'exécution. Si Marigny et ses
amis soupçonnaient la vérité, si, comme Sandewic, ils commençaient à penser que
l'assassin n'était pas le fou qu'il prétendait être, les Secreti et les Noctales fourmilleraient.
    Le lendemain, je quittai la Tour,
à nouveau escortée par le capitaine gallois, pour qui ce genre de devoir était à
présent tâche habituelle. Il m'informa de tous les ragots. Il semblait
qu'Isabelle eût fait remettre un crucifix au prisonnier la veille au soir. Au
petit matin, le roi avait constitué une cour sommaire composée de Sandewic,
Casales et Baquelle pour exercer les pleins pouvoirs de juges d'Oyer et
Terminer. La cour avait siégé à St Peter ad Vincula, mais le captif avait
refusé de plaider ; il avait bafouillé et gémi, puis s'était livré à sa
danse sauvage. Il ne niait pas l'attaque contre Marigny, aussi avait-il été
condamné et remis à Casales pour que justice soit faite.
    Quand le Gallois et moi sortîmes,
l'exécution avait déjà commencé. Gaston avait été tiré hors de son cachot,
dépouillé de sa bure brune en lambeaux et, vêtu seulement d'un

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