Le calice des esprits
avec majesté celles des clochers
voisins de St Stephen et St Margaret, et l'écho porté par le fleuve embrumé
retentit jusqu'à St Paul qui se mit à carillonner à son tour, ainsi qu'une
bonne centaine d'autres églises de la ville. Debout bien avant l'aube, nous
nous étions retrouvés pour l'investiture solennelle dans la petite salle.
Édouard, aidé par Gaveston, revêtit une tunique écarlate sur des grègues or et
noir, mais ne se chaussa point, tout comme Isabelle, vêtue de sa robe de sacre
sous un ample manteau en soie brodée fourré d'hermine. Elle était coiffée d'une
guimpe de velours pourpre ornée d'or et de perles de Venise. Au son joyeux des
fifres, des tambours et des tympanons, sous un dais éclatant porté par Casales,
Sandewic (pâle de fatigue), Baquelle et l'un des barons des cinq ports [15] , Édouard et
Isabelle s'avancèrent sur le tapis bleu grossièrement tissé qui s'étendait du
palais de Westminster jusqu'à l'église abbatiale. Je suivais, en robe sombre,
sans quitter la lisière du tapis sur lequel venaient les grands du
royaume : William Marshall, chargé des éperons dorés du souverain,
Hereford, du sceptre royal couronné d'une croix, Henry de Lancastre, de la canne
surmontée d'une colombe, et les comtes de Lancastre, de Lincoln et de Warwick,
des trois épées royales. D'autres seigneurs, spirituels ou temporels, leur
emboîtaient le pas, puis, loin derrière, en superbes atours incarnat et argent,
fier comme un paon, marchait Gaveston à qui avait été accordé l'honneur insigne
de porter la couronne.
Sur le maître-autel, Édouard et
Isabelle déposèrent une livre d'or sous forme d'une statue d'Édouard le
Confesseur. Le chœur et le sanctuaire flamboyaient sous les feux de centaines
de torches et de cierges qui faisaient briller les tapisseries aux riches
broderies ornant murs, piliers, lutrins, chaires et tables. Les marches qui
menaient au chœur étaient flanquées de superbes pavillons de chêne agrémentés
de tissus brodés, de roses de Noël et de verdure. Casales, son heaume à ses
pieds, se tenait dans celui de gauche, Baquelle dans celui de droite. Ils
dominaient du regard la nef abbatiale emplie de dignitaires étrangers, dont les
plus importants se pressaient en haut des marches pour être témoins du
couronnement, qui se déroula au son des trompettes, dans de lourdes bouffées
d'encens et parmi les acclamations « Fiat, fiât, vivat rex »
suivies de l'antienne Unxerunt Salamonem — « Ils
sacrèrent Salomon ». L'évêque Woodlock de Worcester appliqua la sainte
onction. Le roi en personne posa les couronnes, d'abord sur sa tête puis sur
celle de son épouse. Elle fut sereine pendant toute la cérémonie. La joie se
lisait sur ses lèvres et dans ses yeux, un léger sourire éclairait son visage ;
c'était une vision heureuse au milieu des inquiétants murmures qui grondaient
en sourdine. Les barons étaient furieux de l'honneur et de la préséance
accordés à Gaveston, qui non seulement tenait la couronne, mais encore avait
reçu le privilège particulier de fixer l'un des éperons royaux à la botte du
souverain. Sous les chants et les clameurs s'élevait le chœur de sourdes
protestations du flot de nobles irrités qui, les yeux brillant de rage, ne
cessaient de frôler du bout des doigts le fourreau vide de leurs armes ;
dans d'autres circonstances, dagues et épées auraient été tirées. Qui sait si
on ne peut prédire l'avenir grâce à des signes ou des présages ? Le sacre
d'Édouard II annonça les désastres à venir : ce fut un jour de colère, de
ressentiment, de jalousie, d'arrogance et, enfin, de meurtre.
Le cérémonial prit fin. Le cortège
royal et son entourage descendaient avec lenteur la nef quand un violent fracas
derrière nous, puis des cris et des hurlements perçants noyèrent ovations et
chants. Le chef des cérémonies nous fit signe de continuer, mais Isabelle, d'un
regard, m'ordonna de revenir sur mes pas pour découvrir la cause du tumulte qui
s'amplifiait. Une nombreuse foule se rassemblait à droite des marches du chœur.
Des nuages de poussière se mêlaient à présent aux volutes de fumée des cierges
et de l'encens. Par-dessus la cohue, j'aperçus un enchevêtrement de poutres, de
verdure et de tentures. On se bousculait. Une femme, l'épouse de Baquelle,
poussait des cris hystériques. Rossaleti appela des hommes d'armes pour
s'ouvrir un passage parmi les dignitaires, les moines en froc noir et
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