Le calice des esprits
aurais-je
occis ces hommes ? grommela Casales, dont les yeux et la voix trahissaient
le refus de s'avouer vaincu.
— Pourquoi ? À cause de
l'entreprise d'Angleterre.
L'étonnement fit étinceler les
yeux de Casales.
— Oui, j'ai tout appris
là-dessus, comme le roi Édouard. Il devait provoquer ses barons, puis faire en
secret appel à Philippe de France. Ce que mon seigneur * ignorait, mais
sait à présent, c'est qu'il avait été trahi. Il avait invité les goupils dans
son poulailler. Philippe n'a jamais eu l'intention de soutenir Édouard, il
voulait au contraire le renverser, affaiblir l'Angleterre, reprendre la
Gascogne et qu'une fois pour toutes les Plantagenêts cessent de menacer la France.
Je désignai la chapelle d'un geste
circulaire.
— Sandewic a commencé à se
douter que l'histoire allait se répéter, qu'une flotte française remonterait la
Tamise, occuperait la Tour et s'installerait au pouvoir. Rien d'étonnant à ce
qu'il ait appelé cet endroit son Calice des Esprits. Si Philippe pouvait agir à
sa guise, ces esprits reviendraient nous hanter tous.
Casales bougea les lèvres comme
s'il se parlait à lui-même.
— Le roi maintenant reconnaît
la vérité.
Je fis passer ma dague dans l'autre
main et tirai le parchemin de mon escarcelle.
— Une littera plenæ
potestatis , Sir John.
Je m'interrompis pour rassembler
mes pensées.
— Vous avez occis ces hommes
pour trois raisons : d'abord, parce qu'ils étaient membres du parti de la
paix ; ils conseillaient à Édouard, comme vous le savez fort bien, d'être
l'ami de tous sans être l'allié de quiconque. Ils ont peut-être percé à jour
l'offre de Philippe et vu ce qu'il en était. C'étaient des voix gênantes qu'il
fallait faire taire à jamais. Vous avez prétendu être l'un d'entre eux.
Ensuite, parce que c'étaient des hommes importants. Baquelle et Pourte
contrôlaient Londres, Sandewic la Tour, Wenlock Westminster. Qui sait ce que
les autres pourraient penser quand ces puissants, ces conseillers royaux,
périssaient dans des circonstances si mystérieuses ? Vous espériez qu'on
blâmerait Édouard, que cela affaiblirait davantage sa cause. La mort de
Baquelle, surtout, était un signe, le présage de ce qui pourrait arriver aux
amis du souverain, spécialement à ceux qui s'opposaient à Lord Gaveston.
Casales se pencha, ramassa la
missive et examina le sceau.
— Et la troisième
raison ?
— Vous seul la connaissez.
Pourquoi un chevalier anglais, qui a servi la Couronne anglaise avec tant de
loyauté pendant des années, est-il devenu le chancre dans la rose ? Je
m'en doute. Vous m'avez narré la bataille de Falkirk, où vous avez perdu votre
main. Le vieux roi vous a vu et vous a dit « des meilleurs ont perdu
davantage ».
Je fis une pause.
— Vous pouvez tout nier, mais
les magistrats dresseront votre acte d'accusation et rassembleront les preuves.
Ils sont déjà en train de fouiller votre logis. Ce n'est qu'un premier pas
avant l'interrogatoire. Connaissez-vous le châtiment pour félonie,
Casales ? On vous traînera sur une claie jusqu'à Smithfield, on vous
pendra à moitié, on vous éventrera, on vous arrachera les entrailles et on vous
castrera. Puis on vous coupera en morceaux, on vous décapitera, et les
quartiers de votre corps, plongés dans la saumure, iront décorer les portes et
le Pont de Londres !
Casales, les yeux pleins de
larmes, leva la tête.
— Le vieux roi, dit-il d'une
voix rauque, n'a jamais eu tout à fait confiance en moi ! Je le lisais
dans ses yeux. Non, c'était pire encore ! Jamais il ne m'a aimé. Cette
réflexion après Falkirk a commencé à me pourrir l'âme. Je n'ai joui d'aucune
reconnaissance.
Il se mit à débiter une litanie de
doléances nourries au fil des ans. Une coupe que l'attachement du nouveau
souverain à Gaveston avait fait déborder.
— J'ai beaucoup et durement
servi, releva-t-il en me jetant un regard furieux. Maintenant je suis seul.
J'étais comme un prêtre qui aurait eu pour dieu la Couronne anglaise, mais à
quoi cela m'a-t-il avancé ?
Il jeta la lettre par terre.
— Puis on m'a envoyé en
France. Rossaleti m'a attiré dans l'affaire. Marigny et sa bande m'ont soutenu,
ont promis de me rendre une place de choix quand l'entreprise d'Angleterre
serait achevée, mais il y avait un prix à payer.
Il déglutit avec peine.
— Il arrive souvent,
Mathilde, qu'on s'engage sur un chemin et qu'on s'aperçoive qu'on ne peut
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