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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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ses pattes de derrière, retombe avec un hurlement. La respiration me manque. Et Chinon, qui se venge là (elle ne s’abaisse pas à sourire) d’une déconvenue de dancing !

V
INITIATION
    Incorporation brutale pour toutes les nouvelles arrivantes : c’est la véritable prise en main. L’oubli, l’abandon de cette enveloppe qui « encrasse » le corps nu, la projection dans le premier cercle : la « déshumanisation ». L’attribution d’un numéro matricule, d’un triangle d’appartenance à une nationalité, à un groupe ethnique, social, religieux, à une « catégorie » condamnable (triangle rose par exemple pour les homosexuels), les brimades gratuites, l’imbécillité sans nuance des visites médicales et des mesures de prophylaxie, les cris, les bousculades, les coups, les ordres et les questions lancées dans des langues inconnues doivent passer les personnalités et les résistances. Une dépouille médusée, un « stück » (morceau) d’un ensemble outil ou machine à utiliser sans ménagements parce que facilement remplaçable.
BLOCK 22
    On fit (xxiii) sortir des rangs les cinquante premiers noms de la liste, on les encadra par la police ; on les emmena. Nos camarades devaient se rendre, à la sortie des douches, directement au block 22 qui nous était réservé. Bien que j’appartinsse aux premiers contingents, il fallut attendre jusqu’au soir. Nous commencions à être harassées de fatigue, et nous voyions, à mesure que le temps passait, s’éloigner, encore pour cette nuit, la perspective d’un lit ; il y avait plus d’une semaine que nous n’avions pu étendre nos jambes. Enfin mon tour arriva.
    De nouveau, par rangs de cinq, notre cortège traversa tout le camp, en sens inverse de celui que nous avions suivi la nuit mémorable de notre arrivée. Nous marchions au pas de course quand nous nous entendîmes appeler par un troupeau anonyme qui nous croisait. Nous reconnûmes à grand-peine nos camarades qui sortaient des douches ; elles étaient presque toutes rasées, elles étaient vêtues de robes rayées et étaient pieds nus dans des claquettes. Elles n’avaient plus de bagages mais portaient un tout petit ballot. Elles tremblaient de froid. Elles nous crièrent au passage : « Ils prennent tout. Tâchez de passer vos chandails. » Nous étions atterrées. Quelle était la raison de cette tonsure presque générale ? Nous ignorions encore que les prétextes les plus rationnels et généralement les plus favorables à notre bien-être dissimulaient toujours un machiavélisme plus ou moins raffiné. Ainsi, sous le couvert d’une hygiène impeccable, avait-on rasé presque toutes les têtes afin de les débarrasser des poux dont, soi-disant, elles étaient infestées. Mais on avait omis de nous dire que les paillasses qui allaient être mises à notre disposition en étaient pleines et que l’examen quotidien de nos vêtements ne serait jamais infructueux. Je me suis d’ailleurs toujours demandé par la suite pour quelle raison nos chefs cherchaient à justifier leur comportement, alors que nous avions la preuve ostensible que les motifs invoqués par eux étaient autant de mensonges.
    C’est avec une certaine appréhension que je franchis le seuil du bâtiment. J’entrai directement dans la salle des douches, au plafond de laquelle étaient suspendus les appareils. Nous vîmes un certain nombre de nos camarades, tristement assises par terre, qui attendaient d’être convoquées dans le cabinet où s’opérait la transformation de l’être humain en bagnard. Nous fûmes poussées à côté d’elles et nous assistâmes à l’un des actes du spectacle : une quinzaine de femmes nues, dont les visages affolés avaient perdu en même temps que leurs cheveux toute personnalité, voire même leur humanité, grelottaient sous un jet d’eau à peine tiède. Dans l’impudeur révoltante de cette exhibition, des jeunes riaient, par bravade, mais les vieilles femmes ne pouvaient se départir de l’humiliation qu’exprimaient leurs yeux hagards et le tremblement de tous leurs membres.
    Comment pourrais-je oublier le regard de cette jeune femme dont la longue chevelure blonde avait, par miracle, été épargnée ? Elle soutenait sa mère, déjà âgée, qui, elle, n’avait pas eu la même chance. Je n’eus pas le courage de les suivre des yeux quand je les vis passer devant le commandant qui avait tenu à s’assurer par lui-même que le travail

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