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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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nous étions dans le même état, nos visages et nos allures, tout avait changé et lorsque les 22 000 sont arrivées de, Romainville à Ravensbrück, elles ne nous ont pas reconnues. Nos visages, notre mentalité, même notre dignité, tout avait tellement changé. Notre dignité nous la gardions, bien sûr, mais bien modifiée, beaucoup moins de fierté dans notre allure, mais beaucoup plus rapprochées de nos sœurs de misère. Les nouvelles arrivées de Romainville posaient des questions. Que vous est-il arrivé ? Avez-vous été malades ? Votre moral a l’air bien bas ? Est-ce que vous avez moins à manger ici qu’à Romainville ? Pourtant là-bas, celles qui n’avaient pas de colis étaient bien malheureuses. Les camarades se répétaient de l’une à l’autre des nouvelles et, petit à petit, cela gagnait tout le block. Nous avions vu et parlé avec des femmes belges et nous sûmes qu’ici les conditions étaient pires qu’en France ou qu’en Belgique, que c’était tout simplement terrible. La discipline ou le travail ? Lequel des deux était le plus terrible.
    — Ayant (xxi) satisfait à la comédie des formalités administratives, tout abandonné pour l’uniforme rayé devenu célèbre, nantie d’un numéro qui sera mon état civil, je traîne mes galoches vers le block 22 qui, avec quelques-unes de mes compagnes de convoi, m’a été assigné.
    — Bien avant d’y arriver, me parviennent des hurlements, des bruits de coups et… mais oui… j’entends bien… des cris d’enfants.
    — Dès la porte franchie, je m’arrête, horrifiée. Plus tard, de tels spectacles, devenus familiers, me laisseront indifférente mais aujourd’hui encore, la femme déchaînée, debout sur un tabouret, le visage déformé par la haine qui frappe à coups de louche sur un groupe de femmes et d’enfants agglutinés autour d’une marmite, me semble hallucinant.
    — Cette furie, condamnée de droit commun à vingt-deux ans pour meurtre dit-on, qui fait régner la terreur dans son block, je ne vais pas tarder à l’apprendre, c’est Choura.
    — Extraite d’une prison d’Europe centrale pour occuper au block 22 les fonctions de Blockowa, elle exerce sa toute-puissance, encouragée par les S.S., sur un lamentable troupeau de femmes et d’enfants, dont quelques-uns marchent à peine. Tziganes, ils sont tous voués à la mort, mais le sadisme nazi les a, avant d’en finir, livrés à Choura.
    — Pour l’heure, à la distribution de « soupe » , afin de nourrir leurs marmots affamés, les mères, telles des fauves, donnent l’assaut au baquet contenant un immonde brouet.
    — Pendant que se déroule cette charge, je me suis, avec mes compagnes, glissée dans l’immense pièce où, sur trois étages, s’alignent les châlits, où il nous est ordonné de nous installer.
    — Affolée par les cris, rompue, choquée par les brimades, les injures, les vexations que nous avons subies, l’angoisse, la faim, je n’ai d’autre désir qu’un peu de repos que j’aspire à trouver enfin, malgré l’ambiance infernale de ce lieu de cauchemar.
    — Ce répit, qui sera de courte durée, me fournit l’occasion d’examiner mon nouvel univers : les lits d’une saleté repoussante, souillés d’excréments, n’ont pas de couverture, certains même n’ont plus de paillasse et les occupants sont couchés à même les lamelles qui doivent recevoir les paillasses et menacent de s’effondrer sous la surcharge (trois personnes logent parfois dans les 90 cm de largeur). Les vitres cassées au cours des batailles qui sévissent entre les mères et dont l’enjeu est la vie de leurs enfants, n’ont pas été remplacées. Des petits trop faibles pour bouger geignent sur leurs grabats semblant agoniser.
    — Sous le coup de l’horreur, je ne réagis même pas quand les propriétaires des lits que, dans notre inconscience, nous avons occupés nous bousculent sauvagement et nous jettent à terre.
    — C’est dans un coin sombre du block, serrées les unes contre les autres, qu’apeurées, incrédules, recrues de fatigue, nous nous endormirons enfin, au soir de cette journée qui nous a révélé la vie au camp.

IV
LE BERGER
    — Ça n’a rien de mauvais !
    Le Kapo Sylvaine – blonde, trente ans, vendeuse dans une librairie parisienne, polyglotte – désigne Wanda Carliez Lambert de Loulay pour la corvée de soupe.
    — C’est (xxii) une expédition lointaine, porteuses d’une

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