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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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pas en scandant un chant allemand. Si leur silhouette est bizarre, plus étonnante encore est leur physionomie. Ces femmes n’ont pas d’âge, aucune n’est jeune, leurs yeux sont éteints, sans expression. Presque toutes ont des plaies aux jambes, se tiennent voûtées, sont d’une pâleur et d’une maigreur effrayantes. À coup sûr, ce sont encore des criminelles allemandes punies de bagne. Nous n’avons pas le temps d’échanger nos impressions. Elles passent, ne nous regardent même pas et sont bientôt suivies d’un autre groupe, toujours chantant, ayant le même aspect, portant seulement des instruments différents.
    — Puis, une troisième colonne ; mais tout de suite nous remarquons que ce ne sont pas les mêmes femmes ; d’abord, elles ne chantent pas et si leur accoutrement est semblable, leur allure est plus jeune, plus décidée. Dans leurs physionomies pâles et creuses, brillent des yeux encore vivants. Elles nous regardent et voici qu’elles parlent :
    « — Françaises ? »
    « — Oui »
    « — D’où êtes-vous ? Quelles nouvelles ? » Puis comme une policière arrive sa baguette à la main pour les faire taire, elles ajoutent précipitamment :
    « — Mangez tout, ne gardez rien, ils prennent tout. Mangez tout. »
    Nous sommes émues de cette vision et le reste du défilé long et toujours le même ne nous intéresse plus. Nous avons retrouvé un peu de France ici. Il est bien évident, cependant, que notre situation ne saurait être la même que celle de ces Françaises certainement condamnées à une peine sévère pour un motif grave.
    — Vers quatre ou cinq heures un bruit circule parmi nous, « voilà à boire ». En effet, deux femmes s’avancent portant un lourd bidon. En une seconde, nous sommes toutes debout. Il n’est plus question de dix par dix, c’est une ruée vers le précieux liquide : les femmes sont renversées, le bidon bousculé, personne ne peut l’ouvrir, aucun récipient pour boire. Cela importe peu, il faut atteindre ce café sauveur. De nouveaux bouteillons arrivent qui subissent le même sort. Je me suis munie d’une boîte à conserves vide et préfère patienter plutôt que d’être écrasée, mais aussitôt que je puis approcher, je me précipite aussi sur ce liquide brûlant et alors je bois, je bois, comme jamais je ne pensais qu’on puisse boire, à m’en rendre malade, peut-être cinq litres, six litres, je ne sais, sans réussir à me désaltérer…
    — Vers le soir arrivent des bidons de soupe claire, avec quelques petits morceaux de saucisson dedans ; nous devons partager une gamelle sale pour six ou huit personnes, pas de cuiller. Aucune de nous n’a très faim du reste. Nous avons mis à profit le conseil donné, et nous mangeons toutes nos réserves.
    — Une (xx) femme apparut à la fenêtre, elle était décharnée, la peau collée sur les os, les yeux renfoncés dans les orbites, la tête recouverte de son Kopfluch « coiffe-tout ». Elle était sale, les jambes entourées de bande de papier sale, toutes tachées de pus et elle mendiait. L’une des nôtres, une bretonne, l’avait appelée Sécotine. Puis une autre et toujours d’autres sont venues se placer auprès de la première et bientôt tout un attroupement. Les malheureuses qui n’avaient pas de bandages de papier ou de haillons, laissaient voir des plaies qui nous semblaient répugnantes. La Blockowa et la Stubowa (chef de block et chef de chambre) les repoussaient, leur criant de ne pas s’approcher de nous. Nous étions des pestiférées. Mais les pauvres femmes tendaient leurs gamelles. Nous, de notre côté nous pensions que c’étaient des lépreuses ou des syphilitiques et que c’était la raison pour laquelle le chef de block ne voulait pas les laisser approcher. Mais le chef de chambre nous criait, si vous n’aimez pas votre soupe, elles la mangeront de bon cœur, il y a longtemps qu’elles sont ici et elles ont faim. Nous demandâmes si elles étaient contagieuses. La Stubowa nous indiqua que ces femmes n’étaient pas plus malades que nous, elles étaient plus anciennes dans le camp et c’était tout le drame. Quand il y aura quelque temps que vous serez ici, nous dit la Stubowa, vous comprendrez mieux, vous serez comme elles. Nous avons versé de notre soupe dans leurs gamelles et ces malheureuses mangeaient avec leurs doigts et essuyaient la gamelle avec leur langue afin que rien ne se perde.
    — Deux mois plus tard,

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