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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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droit, nulle part ailleurs…
    Emplie de cette certitude réconfortante, je m’endormis.
    J’étais vraiment au Paradis puisque je baignais dans une débauche de couleurs éblouissantes, de couleurs jamais vues et jamais retrouvées. J’étais heureuse, entièrement, pleinement.
    C’est dans cette joie toute neuve que j’entendis une voix qui criait : « Aufstehen !… Appell ! »
    En une fraction de seconde, une colère immense m’envahit, la rage me saisit, l’indignation me submergea et, insultant Dieu lui-même, je m’écriai :
    — Ah non !… Pas ici aussi !…
    Imaginez l’effet que cela peut faire de retrouver Ravensbrück au Paradis… C’est le comble de toute horreur, non ?
    Criant mon indignation, le son de ma propre voix m’a réveillée. Je revois alors le block, les paillasses, mes compagnes et… Annick. Annick qui semblait tâter son corps, ses yeux incrédules fixés sur moi. Je me suis tâtée aussi. Oui, nous étions vivantes. Nous n’étions pas au Paradis…, nous étions toujours au camp !
    Ce fut la seule nuit où, toutes les deux, nous avons dormi profondément, la seule nuit de vrai sommeil réparateur.
    Est-ce cela le miracle de Noël ?
    Quoi qu’il en soit, j’ai parfois l’impression d’avoir, par ma colère, perdu mon Paradis.
    À ma place, qu’auriez-vous fait ?
    *
    * *
LETTRE DE NOËL
    Mes petits chéris (lxxxix)
    Vous avez (xc) eu bien du chagrin n’est-ce pas quand ce beau matin de mai (il faisait si beau en mai !) vous avez vu partir Papa et Maman.
    Mais vous conserviez l’espoir de les revoir bientôt. Vos bonnes et gentilles tantes veillaient sur vous, vous entouraient ; de graves événements ont surgi qui vous ont distraits et empêchés de trop penser à leur absence.
    Le retour de Papa a dû être pour vous une grande joie, mais il revenait seul et l’absence de Maman vous a été peut-être plus sensible encore.
    Que devenait-elle ? Où était-elle ? Vous le saurez bientôt ; mais dès aujourd’hui Noël, qui est pour moi, semble-t-il, un jour comme les autres, puisque je l’ai employé comme d’habitude à éplucher des légumes, dès aujourd’hui dis-je, qui est pourtant plus que d’ordinaire plein de vous, où je désire vivre pour vous, je veux commencer à vous raconter l’histoire de mon absence.
    Ainsi écrite, elle vous restera ; tous même Pierric qui est si petit, vous pourrez la garder et la mieux comprendre plus tard. Vous ne l’oublierez pas.
    Je ne veux pas vous inculquer des sentiments de vengeance, de haine, de rancune même, que je n’ai jamais éprouvés une minute ici, mais il sera bon que les petits Français comprennent et se souviennent.
    J’espère aussi qu’en lisant l’histoire de votre Maman, vous aurez encore plus grande confiance en elle et que vous lui confierez vos petits et vos grands soucis comme elle va vous confier les siens.
    Vous verrez combien elle a été protégée et miraculeusement soutenue pas à pas, durant cette épreuve commune, voulue par le Bon Dieu, pour notre plus grand bien à tous – car il ne faut pas que Marie-Claire imagine Maman « en prison » pour avoir fait quelque chose de très mal. Non, humainement et même du point de vue allemand, je ne méritais pas cette « punition » (xci) . Je sens bien que l’ensemble d’événements qui m’ont menée ici est une grâce, et je l’accepte comme telle. Je la sens aujourd’hui plus que jamais, à cette paix intérieure qui me baigne toute, malgré la profondeur de ma peine.
    Je savais que l’épreuve d’une captivité chrétiennement acceptée est un puissant moyen de sanctification et une source de grâces, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse donner une telle plénitude de joie surnaturelle.
    Aujourd’hui Noël, je puis dire que je suis « heureuse » comme je ne l’ai jamais été, je ne m’inquiète de rien, je suis abandonnée comme un bébé aux mains de la Divine Providence, je me sens pardonnée, je suis presque au ciel et je voudrais que ces minutes durent toujours…
    Jamais je ne remercierai assez le Bon Dieu de cette grâce dont je sens tout le prix, la plus grande qu’il pouvait me faire…
    Je vous livrerai toutes mes pensées, non pas pour que vous me jugiez – on ne doit jamais juger ses parents – mais pour que vous me pardonniez la peine que je vous ai involontairement causée.
    On m’a reproché déjà, on me reprochera encore, d’avoir méconnu mes obligations de mère

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