Le camp des femmes
de ces murs. »
Il était le maestro de la schlague. C’était lui qui, chaque soir, d’après les rapports des Aufseherinnen, distribuait de trois à trente-cinq coups, selon son goût.
Six sentinelles, mitraillette à l’épaule, gardaient les portes de l’usine et nous accompagnaient dans nos sorties, nous bourrant de coups de crosse de fusil lorsque nous allions dans les tonneaux ramasser des épluchures de rutabagas ou de raves. Lorsque nous travaillions la nuit, durant une semaine, et que nous avions absorbé notre soupe qui consistait en un litre d’eau, une envie incoercible nous prenait et nous n’avions qu’une pensée, celle de nous faufiler en fraude dans la cour, les Aufseherinnen, par méchanceté, ayant fermé les portes des latrines. Mais les sentinelles ne nous rataient jamais, et c’est pleines d’ecchymoses que nous retournions à notre travail.
Quant au « personnel » féminin, il se composait d’une kommandante et de douze Aufseherinnen.
Nous avons connu quatre kommandantes, aussi peu recommandables les unes que les autres. Elles nous ont quittées pour faire de la prison, car elles avaient volé des vêtements qu’elles revendaient au marché noir, ainsi que des rations de pain, saucisson, margarine, etc. qui devaient être distribuées aux prisonnières.
Celle qui nous accueillit à notre arrivée à l’usine était douée d’un physique peu sympathique, avec de très grandes dents. Elle était brutale, avec des gestes vulgaires et distribuait claques sur claques. C’est elle qui nous distribuait notre ration de pain, exactement comme si nous étions des animaux, et si, par hasard, nous avions une demi-cuillerée de confiture et une demi-rondelle de saucisson sur un morceau de pain moisi, qui variait de grosseur selon qu’il était coupé en sept ou en dix, nous pouvions être certaines de ne plus distinguer pain, confiture, saucisson, car tout était intentionnellement mélangé.
Cette kommandante disparut un beau jour pour remplir une fonction, paraît-il, importante dans un camp. Je plains les malheureuses filles qui ont eu à la supporter.
Voici la chanson que nous avons composée sur elle, sur l’air de « son voile qui volait » :
C’était une führerin
Qui n’avait pas trente ans,
Qu’avait une sale bobine
Avec de très grandes dents,
L’calot par-ci, l’calot par-là,
L’calot qui allait, qui allait,
L’calot qui allait tout le temps.
Qu’avait une sale bobine
Avec de très grandes dents,
Un pull-over marine,
Sur un chemisier blanc,
Le pull par-ci, le pull par-là,
Le pull qui allait, qui allait,
Le pull qui allait tout le temps.
Un pull-over marine
Sur un chemisier blanc,
Une jupe-culotte coquine
Sur du linge dégoûtant,
La jupe par-ci, la culotte par-là,
La jupe qui allait, qui allait,
La jupe qui allait tout le temps.
Une jupe-culotte coquine
Sur du linge dégoûtant,
Et des bottes masculines,
Sur des mollets trop blancs,
Les bottes par-ci, les bottes par-là,
Les bottes qui marchaient, qui marchaient
Les bottes qui marchaient souvent.
Mais notre führerin
A aussi, mes enfants
De jolies mains câlines,
Pour nos minois charmants,
Les mains par-ci, les mains par-là,
Les gifles qui volaient, qui volaient,
Les gifles qui volaient souvent.
Et une voix divine
Et de grands cris stridents,
Quand elle baragouine
Ça fait un tremblement,
Les cris par-ci, les cris par-là,
Sa voix qui gueulait, qui gueulait,
Sa voix qui gueulait souvent.
Mais bientôt, mes amies,
Nous allons ficher le camp,
Revoir notre Patrie
Qui là-bas nous attend.
Mari par-ci, mari par-là,
Chantons, ne pensons qu’à la vie,
Chantons, ne pensons qu’à ça.
La deuxième kommandante était une véritable brute, mais, pour notre grande chance, nous l’avons subie en même temps que le deuxième kommandant qui était plus calme. Elle était forte, avec la tête d’une véritable Allemande, carrée et vulgaire. Elle passait son temps, aidée des Aufseherinnen, à nous battre et à nous laisser en appel, dehors, et bien entendu nous voyions notre malheureuse soupe supprimée. Ah ! pourquoi sommes-nous ainsi faites qu’il nous faille manger…
La troisième kommandante était une blonde décolorée du type « écuyère de cirque ». Petite, elle portait toujours des bottes vernies, une casquette en drap militaire vert et un tricot de laine blanche qui lui montait jusqu’au menton. Quelquefois, elle
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