Le camp des femmes
elle nous faisait sortir, à coups de pieds et de gifles, avec des hurlements, de ce réfectoire épouvantable.
Nous avons eu encore une demi-douzaine d’Aufseherinnen auxquelles nous n’avons pas donné de surnoms et qui ne valaient pas mieux les unes que les autres, mais cependant, je ne voudrais pas terminer ce chapitre sans vous dire quelques mots de « La Rousse », « La Roumaine », et de « Boucles d’Oreilles blanches ».
« La Rousse », comme son nom l’indique, avait une chevelure flamboyante et était de petite taille. De tous nos chiens de garde, ce fut certainement la moins mauvaise. Elle se disait de père allemand et de mère alsacienne. Lorsque à partir du mois de janvier 1945, nous fûmes obligées de travailler en dehors de l’usine, à construire des routes, à abattre des arbres et à creuser des tranchées, nous fîmes l’impossible pour nous faire accompagner par elle. Elle se rendait parfaitement compte que la partie était perdue et faisait de son mieux pour s’en tirer à meilleur compte. Elle portait à son poignet droit une petite chaîne d’or où pendait une breloque en émail bleu, blanc, rouge qui représentait la France. Un jour elle perdit ce bracelet et, malheureusement ce fut une Yougoslave qui le trouva et qui le lui rendit moyennant une ration de pain supplémentaire.
« La Roumaine » était exactement le type des dessins humoristiques de Dubout : grosse femme aux cheveux acajou, avec de grosses chevilles qui se terminaient par des petits pieds perchés sur des hauts talons. On la disait d’origine roumaine, et avant d’être Aufseherin, elle travaillait dans une usine où, ayant commis quelques excès, on lui donna le choix entre la condition de prisonnière et celle d’Aufseherin S.S. Lorsque nous fûmes toutes obligées de quitter l’usine avant l’arrivée de l’Armée Rouge, elle abandonna son convoi à Berlin au milieu de la bagarre, troqua ses vêtements militaires pour des vêtements civils et disparut.
Quant à « Boucles d’Oreilles blanches », c’était l’hystérique du lot. Un jour elle eut une crise devant nous ; elle était dans un tel état que nous fûmes obligées de la transporter sur un brancard. Nous restâmes quelques jours sans la voir mais, hélas ! elle revint, non pas calmée mais dans un état croissant de méchanceté et de folie. Elle buvait et nous l’avons vue, certains jours, marcher en titubant. Il lui arrivait même de tomber dans les tranchées que nous étions en train de creuser. Là, elle poussait des hurlements et nous tendait les bras et les mains afin que nous la sortions de ce trou. Alors, elle se faisait aussi lourde que possible en restant inerte comme une masse. Quelques filles étrangères riaient avec elle de ce manège ridicule ; moi je m’éloignais le plus loin possible, trouvant cela odieux et moralement déprimant. Elle vous giflait sans raison, ou s’acharnait sur une malheureuse femme on ne savait pourquoi. Toute la journée on se sentait traquée, les coups pleuvaient ! Elle vous interpellait en termes vulgaires, vous injuriait et, se mettant à rire, vous giflait avec violence. Elle vous renvoyait à votre travail en vous bourrant de coups de poings et de coups de pieds. Ce monstre portait un nom français, le seul d’ailleurs que j’ai connu ; elle s’appelait Gertrude Lefebvre.
Enfin, toutes ces femmes étaient de mœurs épouvantables ; elles recherchaient les contacts des ouvriers de l’usine ou des soldats allemands. La nuit, lorsque l’on descendait aux abris, et que tout était plongé dans le noir, nous pouvions entendre les Tziganes allemandes leur murmurer « mein lieber », ainsi que le bruit confus de baisers et des petits rires de filles vicieuses et excitées.
Je terminerai ce chapitre en vous décrivant « les kapos ». Heureusement parmi elles il n’y avait aucune Française. Ces êtres malfaisantes étaient au nombre de huit ou dix.
Comme Russes, il y avait « Edwidge » ; c’était une volontaire venue en Allemagne pour y travailler et gagner de l’argent, et qui, par suite de malhonnêtetés, avait été transférée dans ce bagne. Parlant très bien l’allemand, elle avait, entre autres privilèges, celui d’être « Blockowa » et, de ce fait, se réjouissait de faire souffrir les femmes qui dépendaient d’elle. Lors du terrible bombardement d’Oranienburg, elle se trouvait en compagnie d’une jeune fille Yougoslave qu’elle devait
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