Le camp des femmes
placée, pas exactement au pied du lit. Visite de nos paillasses afin de voir si nous y avions dissimulé quelque chose. Une de mes bonnes camarades nommée « Zozo » se sentant malade avait ramassé une bouteille vide dans l’usine, et y avait mis un peu d’eau tiède pour essayer de se réchauffer dans son lit. La malheureuse fut littéralement rouée de coups. Quant à mon amie « Samson », ma camarade de lit, elle fut, un beau matin, tellement battue et elle saigna tant que, pendant plus de huit jours, on vit par terre le sang coagulé de cette malheureuse.
Le « Pou Volant » disparut un jour. Elle était enceinte et se vantait, n’étant pas mariée, d’attendre un enfant.
— Je ne suis pas comme ces cochonnes de Françaises, disait-elle, qui, si elles étaient dans mon cas, feraient l’impossible pour faire une fausse-couche ; moi, fille allemande, je suis fière de porter un enfant et d’en faire présent à mon pays.
Nous avons su plus tard que son enfant était né avant terme et était mort, qu’elle était clouée sur son lit en proie à des crises aiguës de rhumatismes, et qu’elle souffrait tant qu’elle demandait à mourir…
La troisième Aufseherin fut surnommée « La Vipère » ; elle accourait comme un serpent, giflait, battait, nous injuriait. Sa figure devenait hideuse, ses cheveux pauvres et raides étaient secoués, ses bras et ses mains battaient l’air et venaient s’abattre sur notre visage. Elle fut terriblement secouée lors du bombardement d’Oranienburg, et, ayant eu très peur, elle se calma enfin.
La quatrième, « Maria », était toute petite. Son mari était mort à Stalingrad ; elle était mère de cinq enfants. Celle-ci ne nous a jamais battues. Certaines de mes camarades osent dire « qu’elle était gentille » ; pour moi, je la croyais fausse, mais, si fourbe qu’elle fut, elle n’était pas sadique.
La cinquième, « Nez au Vent » était une gamine d’une vingtaine d’années, le nez en l’air, les cheveux blonds ; elle portait un tricot rouge sang, roulé autour du cou. Elle détestait les Françaises, nous faisait battre par le kommandant et se mettait à rire lorsqu’elle nous voyait souffrir.
Puis venait « Poupée d’Amour », petite fille blonde de dix-sept ans, qui apprit vite à nous gifler.
Puis « l’Ex-Future Kommandante », que l’on avait surnommée ainsi car, à chaque changement de kommandante, c’était elle qui assurait l’intérim pendant quelques jours. Sa fonction habituelle était la cuisine, et selon son humeur, on mangeait ou pas.
À la cuisine, il y avait environ une dizaine de prisonnières dont la moitié étaient des Françaises, et tous les jours on désignait quelques filles pour éplucher des légumes. Je dois dire que nous aurions bien voulu, à tour de rôle, y faire un petit tour car on pouvait en ramener un peu de ravitaillement, mais si les Françaises en rapportaient pour leurs amies préférées, elles ne tenaient pas à ce que les autres pénétrassent dans ces lieux divins où l’on pouvait travailler assises et au chaud. Il y régnait une bonne odeur de nourriture due, non pas à la préparation de notre soupe, mais à celle des repas des Aufseherinnen et des kommandants. Nos camarades françaises de la cuisine n’ont pas souffert autant que nous, physiquement ; elles sont toutes revenues grosses et grasses et, bien entendu, n’ont pas su se rendre compte de notre souffrance. Nous leur en voulons toutes un peu, car elles auraient pu nous aider infiniment mieux. Mais, je tiens à préciser que cette petite accusation ne s’applique pas à M me de L… qui fut toujours pour nous toutes une camarade charmante, compréhensive et à qui nous devons beaucoup.
Mais revenons à « l’Ex-Future-Kommandante ». Une des grandes satisfactions de cette Aufseherin était de nous distribuer la soupe au réfectoire. Lorsqu’il restait du « rab », elle emmenait le bidon au fond de la pièce, puis, sans servir, le tirait petit à petit vers l’autre bout. Les filles se levaient avec leurs assiettes, se bousculaient, se battaient. On entendait des « Aufseherin bitte » suppliants, larmoyants, et finalement c’était une bagarre générale où les trois cents filles du réfectoire s’envoyaient les assiettes à la figure et cassaient leur cuillère. Lorsque l’Aufseherin voyait que la bagarre était devenue générale, elle refermait le bidon et le renversait même ; puis
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