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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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vers, chaque mot était ancré dans son esprit et y alimentait une terreur immense. Il ne s’était pas préoccupé d’apprendre le poème par cœur ; ça lui était venu tout seul, comme les avertissements de Dieu viennent aux prophètes. La moindre image, le moindre mot, le faisait glisser dans le poème et il fallait parfois plusieurs jours pour l’arracher à cet état, pour l’obliger à parler d’autre chose.
    — Son suicide n’a pas l’air de vous surprendre, fit remarquer Lowell.
    — J’ignorais que ce fût un suicide, professore, réagit Bachi sur un ton coupant. Mais qu’importe le nom donné à sa mort car sa vie entière n’aura été qu’un long suicide. Il a abandonné son âme à la crainte, petit bout par petit bout, jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien dans l’univers qui ne fût pas l’Enfer pour lui. Il se tenait en équilibre au bord des tourments éternels qui avaient envahi son esprit. Je ne m’étonne pas qu’il ait basculé dans le gouffre. »
    Il fit une pause.
    « En va-t-il tellement différemment avec votre ami Longfellow ? »
    À ces mots, Lowell bondit sur ses pieds. Holmes tenta gentiment de le rasseoir. Mais Bachi insistait :
    « Pour autant que je le sache, le professeur Longfellow noie sa douleur dans La Divine Comédie depuis… combien d’années déjà ? Trois ou quatre, certainement.
    — Que savez-vous d’un homme tel que Henry Longfellow ? tempêtait Lowell. À voir votre bureau, je dirais que Dante vous consume également. Que recherchez-vous dans cette œuvre, signore  ? Dante, lui. recherchait la paix en l’écrivant. J’ose dire que vos buts n’ont pas cette noblesse ! »
    Il feuilleta le livre rudement. Bachi le lui arracha des mains.
    « Ne touchez pas à mon Dante ! Je vis peut-être dans un galetas, mais je n’ai pas motif de me disculper pour mes lectures devant qui que ce soit, nanti ou indigent, professore  ! »
    Lowell rougit de honte.
    « Ce n’est pas… Si je puis vous venir en aide financièrement, signore Bachi… »
    — Oh, vous, amari cani  ! ricana l’italien. Je devrais accepter la charité de vous ? D’un homme qui s’est croisé les bras quand Harvard me jetait aux loups ? »
    Lowell était consterné.
    « Voyons, Bachi ! Je me suis battu bec et ongles pour que vous conserviez votre emploi.
    — Vous avez écrit à la Corporation pour demander qu’on me verse un dédit de licenciement. Où étiez-vous quand je n’avais personne vers qui me tourner ? Où était le grand Longfellow ? Vous ne vous êtes jamais battu pour rien dans votre vie. Bien calé dans votre fauteuil, vous écrivez des articles contre l’esclavage et le massacre des Indiens en espérant que les choses changeront. Vous vous battez contre des maux qui n’approchent pas votre porte, professore  ! » Il se tourna vers Holmes, comme si l’inclure dans ses injures était lui faire une politesse. « Tout ce que vous possédez dans vos vies, vous en avez hérité. Vous ne savez pas ce que c’est que de pleurer pour avoir du pain ! Mais, finalement, de quoi devrais-je me plaindre ? Le plus grand des bardes n’avait même pas un toit. Uniquement l’errance. Peut-être, un jour prochain, connaîtrai-je le bonheur de fouler à nouveau mon rivage natal en compagnie d’amis authentiques. Une dernière fois avant de quitter cette terre… »
    Dans les trente secondes qui suivirent, Bachi descendit encore deux pleins verres de whiskey et se laissa tomber dans le fauteuil devant son bureau, tremblant de tous ses membres.
    « C’est sur l’intervention d’un étranger, Charles de Valois, que Dante fut exilé. Dante est le dernier bien encore en notre possession, la cendre ultime de l’âme de l’Italie. Je n’applaudirai pas lorsque vous-même et votre M. Longfellow adoré l’aurez arraché au lieu qui est le sien pour en faire un Américain ! Dites-vous bien qu’il nous reviendra toujours : sa volonté de vivre est trop puissante pour succomber devant qui que ce soit ! »
    Holmes tenta d’interroger Bachi sur ses cours. Lowell voulut savoir le nom de l’homme en chapeau melon et veste à carreaux avec lequel le répétiteur s’était entretenu dans le Yard, mais ils avaient tiré de Pietro Bachi tout ce qui pouvait l’être.
    Émergeant de ce pitoyable sous-sol, ils furent assaillis par un vent glacé. Ils s’abritèrent dans l’encoignure de l’escalier extérieur de l’immeuble voisin, que les

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