Le cercle de Dante
encore l’ Atlantic Monthly de M. Fields. Gardez seulement à l’esprit les principes qui permettront d’atteindre aux humbles buts que promeut notre Corporation dans la présente instance.
Grâce à vos vibrantes compétences en la matière, le premier article dévoilera au grand jour les points de religion et de morale litigieux, contenus dans le poème de Dante Alighieri. Le suivant exposera de manière indiscutable les raisons pour lesquelles le charlatanisme littéraire de Dante et de ses comparses (à l’instar des âneries de même acabit en provenance de l’étranger qui nous envahissent chaque jour davantage) n’a pas sa place dans les bibliothèques des Américains bien-pensants. Seront également développées les raisons pour lesquelles les maisons d’édition jouissant d’une « influence internationale » (comme aime si souvent à s’en vanter M. F. à propos de la sienne) doivent être tenues responsables de cet état de choses, et leurs dirigeants soumis aux plus sévères exigence en matière de responsabilité sociale. Les deux derniers articles de la série, mon cher révérend, analyseront la traduction de Henry Wadsworth Longfellow et désavoueront la tentative d’un poète, considéré jusqu’à ce jour comme « national », d’introduire une littérature immorale et irréligieuse dans les bibliothèques de ses concitoyens.
Dans le souci de donner à cette série le plus vaste écho, un calendrier établi avec soin veillera à ce que les deux premiers articles paraissent quelques mois avant la traduction de Longfellow et ce afin de nous obtenir très tôt la faveur du public. En revanche, le troisième et le quatrième seront publiés simultanément, cela dans le but de dissuader les lecteurs dotés de conscience sociale d’en acquérir un exemplaire.
Il est inutile, à l’évidence, que j’insiste sur le zèle moral que nous attendons de vous, nous sommes certains de le trouver dans vos pages. Je ne pense pas qu’il faille, non plus, vous rappeler les années passées dans notre établissement en qualité d’élève. Je ne doute pas que vous éprouviez chaque jour, comme nous tous, l’influence de cette période de votre vie sur votre âme. Toutefois, il me paraît judicieux que vous fassiez ressortir le contraste flagrant qui existe entre l’influence barbare de la poésie étrangère, incarnée par Dante, et le programme d’études classiques dont l’université de Harvard se fait le héraut depuis près de deux siècles et dont le bénéfice n’est plus à démontrer. Le souffle vertueux qui jaillira de votre plume, cher révérend Talbot, suffira à renvoyer vers l’Italie et le pape ce navire malvenu qui a nom Dante Alighieri, et à assurer ainsi notre victoire au nom de Christo et ecclesiae.
Je reste à jamais en Dieu votre Augustus Manning.
Les trois érudits reprirent le chemin de Craigie House lestés de quatre lettres de cette nature, toutes adressées à Elisha Talbot et portant le sceau de Harvard, ainsi que des épreuves dérobées dans la chambre forte de Riverside Press.
« Talbot était le plumitif idéal, commenta Fields. Ministre du culte respecté de tous les bons chrétiens, adversaire invétéré des catholiques, n’appartenant pas au corps enseignant, il pouvait à la fois faire une fleur à Harvard et aiguiser sa verve contre nous sous l’apparence de l’objectivité.
— Inutile d’être diseuse de bonne aventure à Ann Street pour deviner la somme qui lui a été allouée pour son dérangement, dit Holmes.
— Mille dollars », laissa tomber Rey.
Longfellow fit circuler la lettre de Manning à Talbot dans laquelle était stipulé le montant.
« Mille dollars que nous avons tenus dans nos mains et qui étaient destinés à couvrir les “frais divers” engagés pour la documentation nécessaire et l’écriture de ces quatre articles. Nous pouvons affirmer aujourd’hui en toute certitude que cette somme aura coûté sa vie à Elisha Talbot.
— Dans ce cas, le tueur connaissait exactement le montant à prendre dans le coffre-fort, dit Rey. Il était au courant de l’arrangement passé avec l’université, et aussi de cette lettre.
— Et garde bien les deniers mal acquis, récita Lowell. Mille dollars, le montant auquel la tête de Dante a été mise à prix. »
Dans la première de ses quatre lettres, Manning invitait Talbot à se rendre à University Hall pour discuter de la proposition de la Corporation.
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