Le cercle de Dante
Dans la deuxième, il précisait le contenu de chacun des articles et annonçait l’envoi du paiement négocié de vive voix. Dans la troisième lettre, un courrier de quelques lignes seulement, Manning s’engageait à procurer à Talbot un échantillon de la traduction de Longfellow. Selon toute vraisemblance, le pasteur devait s’être plaint de ne pas trouver à Boston de Divine Comédie en anglais pour étayer sa critique (apparemment, il recherchait la traduction de feu le révérend H. E Cary, publiée en Angleterre). D’après la date de ce mot, le trésorier de la Corporation lui faisait cette promesse en sachant pertinemment que le cercle des Amis de Dante ne lui remettrait jamais la moindre page du texte. Et c’est ainsi que lui-même, ou un émissaire, avait trouvé en Colby la personne susceptible de lui en fournir plusieurs feuillets, moyennant rétribution.
La participation active de Manning dans le complot contre Dante donnait tout lieu de croire que les réponses aux nouvelles questions qui se posaient maintenant se trouvaient dans les registres de la Corporation de Harvard. Autrement dit, dans la salles des Archives de University Hall. Mais comment les consulter pendant la journée lorsqu’à tout moment un fellow pouvait surgir ? Quant à le faire de nuit, ce n’était pas moins ardu car un système de serrures et de combinaisons compliquées avait été installé récemment, suite à une vague de déprédations malveillantes. L’entreprise paraissait impossible quand soudain Fields s’écria :
« Teal !
— Qui ça ? demanda Holmes.
— Mon commis de magasin, celui qui s’est porté au secours de la pauvre M lle Emory dans cette sale histoire avec Sam Ticknor. Il ne travaille au Corner que le soir. Dans la journée, il est concierge à l’université », expliqua l’éditeur. Et d’ajouter fièrement, comme Lowell s’inquiétait de savoir si ce garçon serait disposé à les aider : « C’est un fidèle employé de Ticknor et Fields ! »
Ce même jour, en quittant le Corner vers les onze heures du soir, quel ne fut pas l’étonnement du fidèle employé de Ticknor et Fields de découvrir son patron l’attendant dehors sur le perron ! Dans les secondes qui suivirent, il se retrouva assis dans sa calèche et présenté au passager qui s’y trouvait : le professeur James Russell Lowell. Que de fois avait-il rêvé de fréquenter ces gloires nationales ! Ahuri de se voir offrir un traitement aussi rare, il ne savait que penser. Il écouta attentivement ce que ces messieurs avaient à lui dire.
Arrivé à Cambridge, il les précéda dans un Yard éclairé par des becs de gaz chuintant leur désapprobation. De temps à autre, il ralentissait pour vérifier d’un coup d’œil que son peloton littéraire suivait bien, comme s’il craignait de le voir s’évanouir aussi subitement qu’il lui était apparu.
« Avancez, mon vieux. Nous sommes là ! » lui soufflait Lowell, qui marchait sur ses talons en tournicotant les pointes de sa moustache.
Ce qu’il allait découvrir dans les dossiers de la Corporation l’inquiétait davantage que la perspective d’être lui-même découvert, de nuit, dans le Yard, par l’un de ces surveillants qui se mêlaient toujours de tout. « En tant que professeur, raisonnait-il, je pourrai toujours prétendre avoir oublié mes notes. Mais comment justifier la présence de Fields ? Or elle est indispensable si l’on veut s’assurer le concours de son employé. Un garçon bien nerveux, ce Dan Teal, perpétuellement en train de mâchonner. Sa bouche, menue, a quelque chose de féminin. Il a de grands yeux et les joues imberbes. Il ne doit pas avoir plus de vingt ans. »
« Ne vous inquiétez pas, mon cher monsieur Teal », dit Fields, et il prit le bras de son employé pour grimper l’imposant escalier en pierre d’University Hall. Nous voulons seulement jeter un coup d’œil à quelques papiers et nous nous en retournerons sans rien avoir abîmé. Et vous-même aurez accompli une bonne action.
— C’est tout ce que je souhaite, répondit Teal avec chaleur.
— Bon garçon ! » approuva Fields avec un sourire.
Teal dut employer tout son trousseau de clefs pour venir à bout des verrous et serrures. Une fois dans la salle des Archives, Lowell et Fields allumèrent les lumignons dont ils s’étaient munis et transportèrent les registres de la Corporation de l’armoire jusque sur la longue table. Puis
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