Le cercle de Dante
étaient peu meublées, d’autres entièrement vides.
Lowell venait d’entrer dans une pièce ovale coiffée d’une voûte à la façon d’une chapelle, quand il entendit des crachotements dans son dos. Il fit décrire un arc de cercle à sa lanterne. Fields se frottait le visage et la barbe.
« Ce n’est rien, fit Lowell. De toutes petites toiles d’araignée. »
Il déposa la lampe sur la table qui occupait le centre de la pièce. C’était une bibliothèque pourvue de tout son mobilier.
« Ce lieu semble inhabité depuis un certain temps.
— Ou alors la personne qui vit ici n’a que faire des araignées.
— Regardez partout. Un indice nous expliquera peut-être pourquoi on a payé une canaille pour apporter les épreuves ici. »
L’éditeur s’apprêtait à répondre quand un appel indistinct résonna dans la maison, suivi de pas lourds.
« Au vol ! »
Lowell et Fields échangèrent des regards horrifiés. Ils s’apprêtaient à décamper comme si leurs vies en dépendaient quand une porte latérale s’ouvrit à toute volée et un homme massif en robe de chambre fit irruption dans la bibliothèque, une puissante lanterne tendue devant lui.
« Au voleur ! Expliquez-vous ou je crie ! »
Et voilà qu’il se figea.
« Monsieur Lowell, est-ce vous ? Et monsieur Fields ? »
Ahuri, il fixait le visage des intrus autant que leur tenue.
« Randridge ? s’écria l’éditeur. Randridge, le tailleur ?
— Mais… oui », répondit celui-ci d’une petite voix timide, en se dandinant sur ses pieds chaussés de pantoufles.
Accouru dans la maison, Longfellow remarqua l’embarras qui régnait dans la salle.
« Et monsieur Longfellow ? » s’exclama Randridge.
Il en arracha son bonnet de nuit.
« C’est vous qui vivez ici, Randridge ? demanda Lowell sur un ton exigeant. Quel besoin avez-vous de ces épreuves ? »
Le tailleur resta déconcerté.
« Si je vis ici ? Non, j’habite deux maisons plus bas, monsieur Lowell. Mais j’ai entendu du bruit et j’ai craint que des voleurs ne se fussent introduits dans la maison. Comme vous pouvez le voir, ils n’ont pas fini de trier et de tout emballer. Ils n’ont même pas commencé la bibliothèque.
— Qui ça ? demanda Lowell. Qui n’a pas tout emballé ?
— Mais… sa famille, naturellement. Qui d’autre ? »
Fields recula et promena sa lumière sur les étagères. À la vue des livres, ses yeux s’écarquillèrent. Il y avait là une trentaine de bibles différentes. Il prit la plus grande.
« Ses neveux sont venus du Maryland pour récupérer ses affaires, disait Randridge. Les pauvres, ils n’étaient vraiment pas préparés à un tel événement, je peux vous le dire. Qui le serait ? Étant donné les troubles que nous connaissons actuellement, comme je vous le disais, j’ai pensé que des gens voulaient glaner des souvenirs, vous savez, pour la sensation. Depuis que les Irlandais ont emménagé dans le quartier…, des choses disparaissent. »
Lowell cherchait à deviner où et chez qui il se trouvait. Connaissant l’adresse du tailleur, il se représentait le voisinage, le parcourait, lancé à fond de train, se représentant les maisons par groupes de deux, dévalant les rues adjacentes à une allure aussi rapide que celle de Paul Revere lorsqu’il prévint de l’arrivée des Anglais. La lampe du tailleur n’éclairait guère les lieux. Néanmoins, il entreprit d’examiner les sombres portraits alignés sur le mur, dans l’espoir de reconnaître quelqu’un parmi eux.
« De nos jours, la quiétude a cédé la place à l’insanité, mes amis, je puis vous le dire, continuait le tailleur sur un ton éploré. Même les morts ne connaissent plus la paix.
— Les morts ? répéta Lowell.
— Le mort », chuchota Fields en lui passant une bible dont il avait soulevé le fermoir.
La page de garde s’ornait d’un texte manuscrit répertoriant l’ascendance complète du dernier occupant des lieux : le révérend Elisha Talbot.
16
University Hall, le 8 octobre 1865
Mon cher révérend Talbot,
Je tiens à souligner une fois de plus que toute liberté est laissée à vos mains expertes en ce qui concerne le style et la forme à donner à cette série.
M… nous a assurés qu’il attendait impatiemment le grand honneur de publier cet ensemble de quatre textes dans sa revue littéraire, laquelle demeure à ce jour, pour les esprits éclairés, la seule à concurrencer
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