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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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suggérait plus de profondeur que Rey n’en pouvait imaginer. Voilà pourquoi ces mots s’ancrèrent dans son esprit, le prenant au piège, et il s’efforça de se les rappeler, de réentendre le chuchotement à son oreille tout en récupérant son équilibre pour s’élancer tant bien que mal aux trousses du fugitif. Hélas, celui-ci s’était catapulté avec une telle violence qu’il n’eût pu s’arrêter en cet instant, le dernier de sa vie, quand bien même l’eût-il voulu. Il passa au travers de l’épais vitrage de la fenêtre en encorbellement.
    Un éclat de verre de la forme d’une faux se détacha du carreau et, d’une volte presque gracieuse, rattrapa l’écharpe noire, sectionnant d’un coup la trachée de l’inconnu. Sa tête fut projetée loin devant tandis que son corps traversait le matériau déchiqueté et basculait dans le vide pour aller s’écraser dans la cour en dessous.
    Dans le silence qui s’abattit, des tessons aussi fins que des flocons de neige giclèrent sous les bottes de Rey renforcées à la pointe, lorsqu’il s’avança vers la fenêtre pour regarder en bas. L’inconnu gisait sur un moelleux coussin de feuilles d’automne, et les morceaux de verre multicolore tombés de la vitre brisée découpaient le corps et la couche en un kaléidoscope de rouge, de jaune et de noir agité de soubresauts. Arrivés les premiers dans la cour, les garnements loqueteux braillaient et dansaient autour du cadavre écartelé en le montrant du doigt. Rey descendit à son tour, incapable de fuir les paroles indistinctes que ce vagabond, pour une raison inconnue, avait choisi de lui léguer. Voi Ch’intrate. Voi Ch’intrate.
     
    James Russell Lowell franchit au galop le portail de fer qui donnait accès au Yard de Harvard avec le sentiment d’être sir Launfal en personne lancé dans la quête du Graal. Sur ce fond aux couleurs de l’automne, sa silhouette montée sur un destrier blanc évoquait en effet le vaillant chevalier de son poème le plus célèbre, pour peu que l’on fît abstraction de sa singulière prédilection pour les barbes taillées au cordeau. La sienne formait sous le menton un carré parfait de six ou sept centimètres de côté, sous lequel ses longues moustaches ballottaient librement. Certains de ses détracteurs, comme bon nombre de ses amis, faisaient observer en privé que cette coupe n’était pas des plus flatteuses, eu égard à la hardiesse générale de ses traits. Mais Lowell soutenait que les barbes étaient faites pour être portées, sinon Dieu ne les eût point données à l’homme, se gardant bien de débattre sur la justification théologique de son style personnel.
    Cette imaginaire appartenance à la chevalerie, le poète la ressentait avec une passion redoublée, en ces temps où le Yard se révélait une citadelle chaque jour plus hostile. Quelques semaines auparavant, la Corporation s’était engagée à mettre en œuvre des réformes visant à éliminer divers obstacles auxquels son département se trouvait confronté – par exemple, le fait que les étudiants inscrits à un cours de langue moderne obtinssent moitié moins de points que ceux qui choisissaient une langue classique –, s’il l’autorisait en contrepartie à bénéficier d’un droit de regard sur ses cours. Lowell avait exprimé son refus haut et fort : que l’administration soumette sa proposition au Conseil des superviseurs de Harvard ! S’agissant d’une Hydre à vingt têtes, la résolution ne serait pas adoptée avant un temps infini.
    Peu après, un après-midi, une petite phrase lâchée par le président de l’université lui avait révélé l’objectif réel de l’administration.
    « Annulez au moins votre séminaire sur Dante, et Manning améliorera grandement les choses pour vous », lui avait vivement conseillé le révérend Hill, le prenant par le coude en un geste de confidence.
    Lowell avait plissé les yeux.
    — C’est donc ça ! C’est ce cours qu’ils veulent me voir supprimer ! » s’était-il écrié. Et d’ajouter, outré : « Je ne me laisserai pas conter de balivernes, je ne m’inclinerai pas devant eux ! Ils ont obtenu le départ de Ticknor. Longfellow lui-même n’éprouve que de l’inimitié pour eux. Par Dieu ! Face à de telles manigances, quiconque se veut un gentilhomme se doit d’élever la voix, voilà mon opinion ! Et j’ajouterai : quiconque n’est pas docteur ès vilenies.
    — Je crains que

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