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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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vous ne me preniez pour un affreux goujat, professeur, mais comme vous le savez, je ne contrôle pas plus que vous la Corporation. La plupart du temps, se faire entendre de ces gens est une chose impossible. Pire que si on leur parlait à travers un trou dans le bois. » Et il avait conclu avec un petit gloussement : « Je ne suis hélas que le président de cette université. »
    De fait, le révérend Thomas Hill n’était rien de plus que cela, un président de Harvard. Et tout neuf, qui plus est : le troisième en dix ans. De ce fait, les membres de la Corporation, en place depuis des années, détenaient un pouvoir bien supérieur au sien.
    « Dante n’est pas conforme à la conception qu’ils ont de l’avenir de votre département, avait-il repris. Pour eux c’est une affaire entendue. Ils en feront un exemple, Lowell. Manning en fera un exemple ! » avait-il répété sur un ton de mise en garde en reprenant le bras du poète comme s’il fallait l’arracher aux griffes d’un danger imminent.
    Lowell avait rétorqué qu’il ne souffrirait pas de voir les membres de la Corporation s’ériger en juges d’une littérature dont ils ignoraient tout. Hill n’avait pas cherché à en discuter. Pour la Corporation de Harvard, tout ignorer des langues vivantes était une question de principe.
    Lors de l’entrevue suivante, le président était muni d’un petit papier bleu écrit de sa main : la citation d’un poète anglais de vague renom récemment disparu, décriant l’œuvre de Dante.
    « Que de haine contre la race humaine dans sa totalité ! avait-il lu. Quelle exultation, quels transports de joie devant des douleurs implacables et éternelles ! Nous lisons en nous pinçant le nez et en nous bouchant les oreilles. A-t-on jamais vu rassemblés autant de pestilence, de pourriture, d’excrément, de sang, de corps mutilés et de monstres mythiques chargés d’assener les châtiments ? Avons-nous jamais entendu un tel concert de cris de la part d’agonisants ? Face à cela, je ne puis m’empêcher de penser que ce livre est le plus immoral et le plus impie de tous ceux qui furent jamais écrits. »
    Hill avait souri avec fatuité, comme s’il était lui-même l’auteur de ces lignes.
    « Devrons-nous supporter encore longtemps que l’Angleterre règne sur nos bibliothèques ? s’était esclaffé Lowell. Si tel était notre souhait, pourquoi n’avons-nous pas remis Lexington aux Habits rouges ? Cela aurait épargné au général Washington les tracasseries d’une guerre. »
    Il avait vu briller dans l’œil du président un éclat qu’il surprenait parfois chez un étudiant encore naïf et il en avait conclu que Hill était capable de le comprendre.
    « Révérend président, avait-il continué, tant que l’Amérique n’aura pas appris à voir dans la littérature autre chose qu’un simple amusement, quelque chose de plus que des vers de mirliton à débiter par cœur pendant les cours ; tant qu’elle ne saura pas l’aimer pour son énergie humaniste et ennoblissante, elle n’atteindra pas à ce sens élevé qui, seul, fait d’un peuple une nation et le hisse de l’état de nom dénué de vie à celui de force vive. »
    Hill avait dû se surveiller pour ne pas se laisser emporter loin de son but.
    « Cependant, cette idée de voyager dans la vie après la mort, ces descriptions des châtiments de l’Enfer – tout cela est terriblement cru, Lowell. Et ce titre de Comédie… pour un texte semblable ! C’est moyenâgeux, scolastique. C’est…
    — Catholique ? »
    Le mot avait cloué le bec au président.
    « N’est-ce pas ce que vous vouliez dire, mon cher Hill ? Que tout cela est par trop italien, par trop catholique pour notre université de Harvard ? »
    Levant l’un de ses sourcils blancs, Hill avait répliqué d’un air entendu :
    « Vous admettrez que nos oreilles protestantes ne sauraient endurer un concept de Dieu à ce point effrayant. »
    En vérité, Lowell ne voyait pas la prolifération des papistes irlandais sur les docks et à la périphérie de Boston d’un meilleur œil que la Corporation. Mais de là à considérer ce poème comme un édit officieux du Vatican…
    « Il est vrai que nous préférons condamner les gens à la géhenne éternelle sans les informer courtoisement des conséquences de leurs actes. Quant à ce titre de Commedia, mon cher monsieur, si Dante a choisi de le donner à son œuvre, c’est parce qu’il

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