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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
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l’homme d’affaires. Vous savez que rien ne se produit à Boston ou à Cambridge sans passer d’abord sous mon nez.
    — Nous construiriez-vous une nouvelle bibliothèque ? s’était enquis Lowell.
    — Les fellows débattaient de votre département de façon plutôt animée, à ce qu’il m’a semblé. Ils étaient bougrement déterminés. Je m’en voudrais de me mêler de vos affaires, bien évidemment, mais…
    — Entre nous soit dit, mon cher Jennison, ils veulent me faire abandonner mon séminaire sur Dante. Si je n’y prends garde, leur hargne contre ce poète égalera bientôt mon admiration pour lui. Figurez-vous qu’ils sont allés jusqu’à me proposer d’augmenter le nombre d’étudiants autorisés à suivre mes cours si j’acceptais de soumettre à leur censure les sujets que j’y aborde. »
    En voyant l’inquiétude se répandre sur le visage de Jennison, Lowell avait précisé :
    « J’ai refusé, naturellement.
    — Vous avez fait cela ? » s’était écrié Jennison en exhibant un large sourire.
    Sur ce, leur échange avait été interrompu par une série de toasts dont un impromptu imaginé par le Dr Holmes à la demande pressante de la compagnie, et qui avait été de loin le plus acclamé :
     
    Un vers trop policé ne se retiendra pas,
    Jamais boul’de billard gratte-dos ne fera.
     
    « Ces rimes d’après-souper ruineraient n’importe quel poète, mais pas Holmes ! » avait lâché Lowell avec un sourire admiratif. Le regard voilé, il avait ajouté : « Parfois, j’ai l’impression de n’être pas taillé dans l’étoffe dont on fait les professeurs, Jennison. D’être trop bien par certains côtés, et pas assez par d’autres. Trop sensible et manquant de vanité. Sur le plan physique, devrais-je dire. Tout cela finit par m’user… Passer tant d’années fiché sur une chaise de professeur, ça vous engourdit son homme et on ne voit plus le reste du monde, avait-il dit encore. Que doit penser un prince de l’industrie tel que vous d’une aussi pâle existence ?
    — Enfantillages, mon cher Lowell. »
    Jennison avait paru fatigué du sujet. Pourtant, après un moment de réflexion, il y était revenu :
    « Je ne souffrirai pas de vous voir hésiter plus longtemps ! Vous avez envers le monde et vous-même un devoir plus grand que celui dévolu au simple spectateur. Je ne sais pas qui est ce Dante censé sauver mon âme, mais un génie comme vous, mon cher ami, doit assumer la responsabilité de lutter pour tous les exilés du monde. »
    Lowell avait marmonné une phrase inaudible mais certainement d’une grande modestie, car Jennison avait répliqué :
    « Ta-ta-ta, Lowell. Vous êtes celui qui a su convaincre le club du Samedi qu’un marchand était digne de s’asseoir à la table d’immortels.
    — Mes amis pouvaient-ils fermer leur porte à l’homme qui proposait de racheter Parker House ? avait rétorqué Lowell en riant.
    — Ils auraient été en droit de le faire si j’avais cessé mon combat en vue d’appartenir à leur cercle de grands esprits. Puis-je citer mon poète favori ? Ose réaliser les rêves que d’autres osent caresser… Ah, que c’est bien dit ! »
    À l’idée que son œuvre dût l’inspirer lui-même, Lowell avait éclaté de rire. Cependant, tel était bien le cas en vérité. Et pourquoi pas ? La raison d’être de la poésie n’était-elle pas sa capacité à résumer en une seule ligne l’essentiel des pensées qui flottaient vaguement dans l’esprit de tous ?D’en faire quelques mots à emporter avec soi, une phrase utile et prête à l’emploi. Du moins, Lowell le pensait-il.
    Pour l’heure, tandis qu’il se rendait à son cours, la perspective d’entrer dans une salle remplie d’étudiants convaincus qu’il était possible de tout savoir d’un sujet quel qu’il fût le fit bâiller d’ennui. Il attacha son cheval à la vieille pompe à eau en face de Hollis Hall et lui conseilla de botter des quatre fers quiconque y trouverait à redire. Sur ce, il alluma un cigare. Chevaux et cigares : deux points figurant noir sur blanc sur la liste des actes interdits sur le Yard.
    Un homme en gilet à carreaux d’un jaune lumineux suivait avec attention ses faits et gestes, paresseusement appuyé contre un orme. Bien qu’incliné, il était beaucoup plus grand que Lowell. Trop âgé pour être un étudiant et trop décrépit pour appartenir à la faculté, il avait des traits

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