Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matthew Pearl
Vom Netzwerk:
alitée.
    « Madame, je voudrais que vous sachiez que, dans le passé, votre époux m’a aidé. »
    Elle s’immobilisa.
    Sur le seuil, Kurtz et Savage échangèrent des regards étonnés. Rey parlait à voix basse et ils n’osaient s’avancer pour écouter de peur de déclencher une nouvelle crise. La veuve s’était calmée, pour autant qu’il leur fût possible de discerner quoi que ce fût dans l’obscurité. Son silence était paisible, même si sa respiration demeurait haletante.
    « Dites-moi en quoi, je vous prie, émit-elle enfin.
    — J’ai été emmené à Boston lorsque j’étais enfant, par une dame de Virginie venue ici en vacances. Des abolitionnistes m’ont arraché à elle et conduit devant le juge suprême. Il a statué qu’un esclave se trouvant sur le territoire d’un État libre était émancipé d’office, de par la loi. Il m’a confié à la famille d’un forgeron de couleur du nom de Rey.
    — C’était avant que ce décret misérable sur les esclaves en fuite n’épuise toute notre énergie. »
    Les paupières de M me  Healey se fermèrent d’un coup et un soupir s’échappa de sa bouche tordue en un étrange rictus.
    « Allez, je sais bien ce que pensent les amis de votre race, à cause de ce gars qui s’appelait Sims. Le juge suprême n’aimait pas que je vienne au tribunal, mais j’y suis allée pour cette affaire, elle faisait tant de bruit à l’époque. Sims était comme vous, un beau nègre, mais d’un noir aussi noir que l’obscurité qui règne chez certains. Le juge suprême ne l’aurait jamais renvoyé chez lui s’il n’y avait été obligé. Il n’a pas eu le choix, vous comprenez. Mais vous, il vous a donné une famille… Une famille qui vous a rendu heureux ? »
    Rey hocha la tête.
    « Pourquoi faut-il toujours qu’on paye pour ses erreurs, après  ? Ne pourrait-on pas, de temps en temps, avoir payé d’avance, par tout ce qu’on a fait de bien ? On s’épuise à se donner tant de mal envers et contre tout. »
    Sa lucidité lui revenait un peu. À présent, elle savait ce qui lui restait à faire, une fois les policiers partis. Mais, auparavant, elle voulait encore obtenir une réponse de Rey.
    « Dites-moi, le juge vous a-t-il parlé, alors ? Il aimait beaucoup bavarder avec les petits… Plus qu’avec n’importe qui, ajouta-t-elle en se rappelant la gentillesse de son mari avec leurs enfants.
    — Avant de statuer par écrit, il m’a demandé si je souhaitais rester ici, madame Healey. Il a dit que nous serions toujours en sécurité à Boston, mais que c’était à moi de décider si je voulais devenir un Bostonien, un homme qui défend ses principes en même temps que sa ville. Autrement, j’y serais toujours un étranger. Il m’a dit que lorsqu’un Bostonien arrivait aux portes du paradis, un ange en sortait pour le prévenir : “Tu sais, ce n’est pas Boston ici. Tu ne t’y plairas pas.” »
    Comme il tendait l’oreille pour s’assurer que la veuve était bien endormie, un chuchotement se mit à bourdonner dans sa tête, les phrases du vagabond qu’il entendait aussi dans la nudité de son affreux taudis. Tous les matins, il se réveillait avec ces mots étranges sur le bout de la langue. Il pouvait en goûter la saveur, humer l’odeur puissante qui s’en exhalait, sentir sur sa peau le picotement rugueux des favoris de l’homme qui les avait prononcés. Mais quand il voulait les répéter lui-même, pendant qu’il conduisait le fourgon de police ou quand il apercevait son reflet dans une vitre, ils n’avaient aucun sens. À longueur de journée, il vidait les encriers à force de s’escrimer à les transcrire. Hélas, le résultat obtenu était encore plus absurde que les paroles du pauvre hère. Il avait encore son chuchotement dans les oreilles et son odeur de pourri dans les narines. Quant au regard pétrifié que le malheureux avait posé sur lui avant de traverser la vitre, il ne pouvait le chasser de son esprit. Cet homme sans nom, venu du bout du monde, était tombé du ciel dans ses bras et, lui, il n’avait rien trouvé de mieux que de le laisser tomber plus bas encore. En vain l’agent s’évertuait-il à effacer cette vision. Mais cette chute à pic jusqu’au fond de la cour, cette métamorphose en feuilles et en sang ne cessaient de repasser devant ses yeux. Les images trop précises défilaient avec une régularité et une récurrence de lanterne magique. Au diable, le commandant

Weitere Kostenlose Bücher