Le Cercle du Phénix
Andrew jusqu’à Chelmsford pour en avoir le
cœur net.
Cassandra faisait une confiance aveugle à cet homme,
mais Nicholas doutait de plus en plus de sa clairvoyance.
*
Le même jour, à l’heure du dîner, Jeremy, de retour au
manoir, risqua un œil chafouin dans la salle à manger et avisa deux sièges
vides.
— Où
sont Lord Ashcroft et… et… Gabriel ? lâcha-t-il péniblement, le nez plissé
dans une moue de dégoût.
— Ils
sont sortis, répondit Cassandra sans lever le nez du Times dans la lecture duquel elle était plongée.
Un rictus ironique tordit la bouche de Jeremy.
— Ils
daignent quitter leur chambre, voilà qui constitue un net progrès !
marmonna-t-il à part lui.
Puis, plus fort :
— Et
où donc sont-ils allés ?
— À
Covent Garden, assister à un opéra.
Le journaliste se figea, comme frappé par la foudre.
— Un…
un opéra ? balbutia-t-il.
— Don Giovanni de Mozart, je crois, précisa obligeamment Andrew, qui
n’avait soufflé mot à personne de son déplacement de l’après-midi.
— Les
bras m’en tombent ! s’écria Jeremy, scandalisé, en prenant place à table.
Ce n’est vraiment pas le moment de sortir s’amuser, et surtout pas avec un
criminel ! Un homme de surcroît !
— Julian
est un grand amateur de musique, lui-même est un excellent pianiste, observa
Cassandra.
— Oh,
et y a-t-il un domaine dans lequel Lord Ashcroft n’excelle pas ? lança
Jeremy d’un ton sarcastique.
— Gabriel
n’était jamais allé à l’opéra, expliqua Andrew d’un ton apaisant. Lord Ashcroft
a voulu lui faire plaisir, encore qu’il ait eu du mal à le convaincre de sortir
au milieu de la journée.
— Allons
bon, nous allons apprendre que c’est un vampire maintenant ! s’exclama
Jeremy en attaquant l’entrée avec des gestes rageurs.
— Sa
réticence s’explique sans mal, commenta Nicholas tout en observant le médecin à
la dérobée. Avec des cheveux aussi blancs à son âge, il ne passe pas inaperçu.
Sans doute cela le gêne-t-il.
— Quoi
qu’il en soit, c’était très attentionné de la part de Julian.
Jeremy regarda Andrew d’un air affligé.
— Et
puis quoi encore ! Lord Ashcroft paraissait être un homme si raisonnable,
ajouta-t-il d’un ton déçu. Il cachait bien son jeu ! S’amouracher ainsi
d’un meurtrier et se montrer avec lui en public ! Il n’a vraiment honte de
rien ! Ne tient-il donc pas à sa réputation ?
— Gabriel
est glaçant, renchérit Megan qui gardait un souvenir épouvanté de sa rencontre
avec le jeune homme dans les souterrains écossais. Il me fait peur parfois.
— Il
est vrai qu’il n’est guère expansif, rétorqua Andrew, mais il donne
l’impression d’être sincèrement attaché à Lord Ashcroft. D’ailleurs, il le suit
partout comme son ombre. Je trouve son attitude touchante.
Cassandra jeta un regard reconnaissant à Andrew. Voilà
le trait de sa personnalité qu’elle appréciait le plus, qu’elle enviait même,
cette fabuleuse capacité à déceler et mettre en lumière les meilleurs côtés des
individus, cette incroyable générosité dont il faisait constamment preuve dans
ses jugements sur autrui.
— Ridicule !
marmonna Jeremy en mangeant malgré tout de bon appétit. Les aristocrates comme
Lord Ashcroft se croient vraiment tout permis ! Avec leurs titres, leur
fortune et leur nom, ils s’arrogent le droit de piétiner la morale la plus
élémentaire, ajouta-t-il d’un air écœuré. Gabriel était un voleur hier, et
maintenant il sort comme si de rien n’était ! Suis-je donc la seule
personne dans cette maison à avoir un peu de moralité ?
— On
dirait bien, acquiesça Nicholas d’un ton railleur. Et vous devriez vous estimer
heureux qu’un homme du rang de Lord Ashcroft daigne vous adresser la
parole !
Cassandra suivait la conversation d’une oreille
distraite. Julian avait bien fait d’emmener Gabriel loin du manoir le temps
d’une soirée. Cette petite escapade ne pouvait que leur faire du bien à tous
les deux. Elle leur changerait les idées et permettrait peut-être de faire
taire durant quelques heures les doutes et les angoisses qui devaient les
ronger. À côté d’elle, Andrew posa ses couverts et repoussa son assiette à
moitié pleine. Cassandra lui jeta un regard en biais, notant avec inquiétude
ses traits tirés et sa pâleur. Depuis quelques semaines, Andrew semblait
fatigué en permanence et
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