Le Cercle du Phénix
qu’il n’obtiendrait pas de réponse, mais il
espérait que le son de sa voix rassurerait Gabriel. Celui-ci respirait
fortement, le regard braqué vers le cottage. Bien que ses traits fussent noyés
dans l’ombre, il émanait du jeune homme une peur presque tangible qui poussa
Julian à le serrer dans ses bras dans un élan protecteur. Il le sentit trembler
contre lui, et au contact de ce corps si vulnérable en cet instant, il eut
soudain le pressentiment d’une catastrophe imminente. La crainte l’envahit à
son tour et les battements de son cœur s’accélérèrent. Julian éprouva l’envie
subite de faire demi-tour et de ramener Gabriel au manoir, en sécurité, mais il
se contint.
— N’aie
pas peur, chuchota-t-il, sa joue pressée contre celle du jeune homme, ses
doigts caressant ses mèches blanches. Je suis là, je suis là…
Un rectangle jaunâtre se détacha sur la façade noire,
éclairant le jardin : Cassandra avait allumé les lampes du couloir. D’un
mouvement brusque, Gabriel se libéra de l’étreinte de Julian et fixa un point
derrière lui, les yeux agrandis par l’horreur. Le lord pivota pour se trouver
face à Charles Werner, raide et le visage fermé. Son regard brillait d’une
dureté métallique qui n’augurait rien de bon. Sans un mot, le vieil homme passa
devant eux et pénétra dans la maison. Julian hésita quelques secondes et lui
emboîta le pas, suivi par Gabriel qui arborait à présent la mine résignée d’un
martyr jeté dans la fosse aux lions.
Cassandra et Werner les attendaient dans le salon où
s’était déroulée leur première entrevue. La jeune femme, qui avait eu la ferme
intention de prendre la rencontre en main, vit ses plans contrariés par Werner.
Avant même qu’elle ait pu ouvrir la bouche, celui-ci interpella Gabriel d’une
voix aiguisée :
— Ainsi,
tu es venu avec ton amant. Eh bien, tu ne manques pas d’audace…
Gabriel pâlit. Les yeux de Werner, qui le scrutaient
méchamment, se contractèrent et se rétrécirent jusqu’à ressembler à deux
pointes d’acier.
— Tu
l’as amené dans cette maison où nous avons partagé tant de choses… Comment as-tu
osé ?
Ne comprenant que trop bien ce que sous-entendaient ces
propos, Julian jeta un regard interrogateur à Gabriel qui se décomposait à vue
d’œil, tandis que Werner poursuivait sa diatribe d’un ton lourd de menaces et
en même temps curieusement suppliant.
— Il
se lassera de toi, tu sais. Tu l’amuses, mais cela ne durera pas éternellement.
Il n’a pas besoin de toi, car il t’est supérieur à tous les points de vue. Tu
en as conscience, n’est-ce pas ? Oui, bien sûr que tu en as conscience. Tu
n’es pas stupide. Au fond de toi, tu as toujours su que cette relation était
vouée à l’échec. Tu ne vaux pas plus qu’un domestique à ses yeux, et les amours
ancillaires ne durent jamais. Comment pourriez-vous avoir un avenir
ensemble ? Un fossé vous sépare. Tu finiras par revenir vers moi car moi
seul…
— Taisez-vous !
l’interrompit rageusement Julian qui avança d’un pas, les poings serrés. N’ayez
pas l’outrecuidance de juger sans savoir !
Un sourire sardonique se dessina sur le visage de
Werner.
— Lord
Ashcroft, c’est vous l’ignorant, dit-il avec condescendance. Vous ne connaissez
pas ce garçon comme je le connais. Vous seriez surpris, et sans doute choqué,
de découvrir toutes les vicissitudes que recèle son passé. Les meurtres ne
constituent qu’une facette de ses talents…
L’instinct de Julian lui soufflait de ne pas insister,
de ne pas entrer dans le jeu de Werner, mais la curiosité fut la plus forte. Il
désirait ardemment en apprendre davantage sur Gabriel, au risque de se brûler
les ailes au contact de la vérité.
— Que
voulez-vous dire ?
De pâle, Gabriel devint livide. Une joie profonde et
sadique illumina les traits de Werner au spectacle de la souffrance du jeune
homme.
— Lord
Ashcroft, laissez-moi vous relater notre première rencontre, il y a dix ans de
cela…
— Non…
Une plainte grave et un peu rauque, à peine perceptible,
s’était élevée d’un coin de la pièce.
D’un seul mouvement, Cassandra, Julian et Werner se
tournèrent vers l’endroit où se tenait Gabriel.
— Non,
répéta celui-ci dans un murmure empreint de désespoir.
Un silence stupéfait s’abattit sur les lieux.
— Tu…
tu parles maintenant ? réussit à balbutier Werner,
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