Le Cercle du Phénix
perdait l’appétit. Sans doute travaillait-il trop, mû
par le désir de sauver la terre entière des affres de la maladie, car il
passait de moins en moins de temps au manoir, ne paraissant se libérer qu’à
grand-peine de ses obligations professionnelles.
Cassandra croisa le regard amusé de Nicholas par-dessus
la table. Comme à son habitude, l’avocat semblait lire dans ses pensées. Elle
détourna les yeux pour se concentrer sur son assiette.
La suite des événements la jetait dans l’expectative.
Cependant, la simple évocation de sa sœur suffisait à la submerger de sombres
pressentiments. Hormis Andrew, nul n’était au courant du lien de parenté qui
l’unissait à Angelia Killinton. Elle avait préféré passer cette révélation sous
silence, au moins provisoirement : le choc était encore trop récent pour
qu’elle éprouvât l’envie de s’épancher sur le sujet.
Angelia s’était certainement rendue compte de la
disparition du carnet de Charles Werner, et Cassandra n’avait aucun moyen sûr
de le prévenir du danger qu’il courait. Elle
était condamnée à attendre un signe de lui.
*
De son côté, dans le bateau qui le ramenait à Londres,
Charles Werner était également en proie à l’incertitude. Lady Killinton, qui
respectait toujours scrupuleusement ses plans, avait retardé son départ en
Espagne de deux jours. Fallait-il y voir un funeste présage ? Nourrissait-elle
de la suspicion à son égard désormais ? Elle s’était comportée normalement
avec lui en Galice, mais peut-être cachait-elle son jeu pour mieux le piéger
par la suite. À cette pensée terrifiante, sa main bandée le brûla comme s’il
l’avait plongée dans le feu. Le masque d’impassibilité qu’il portait se
craquela, et la rancune durcit ses traits émaciés.
Non, il n’avait rien à craindre. Il ne devait pas avoir
peur. Elle ne connaissait pas la maison de Richmond, elle ne connaissait pas
l’heure de la rencontre. Il veillerait à ne pas être suivi. Il ne courait aucun
danger s’il se montrait prudent.
L’heure de vérité approchait. Dans quelques heures, il
serait libre, et le Cercle du Phénix ne serait plus qu’un mauvais souvenir.
Chapitre III
Le message du Commandeur arriva le lendemain après-midi,
à l’heure du thé. Lapidaire, il ne contenait que quatre mots : « Ce
soir, onze heures. »
Image même de la désolation, Gabriel se joignit de
mauvaise grâce à Cassandra et Julian. À l’inverse, Nicholas décida de se
greffer à l’expédition malgré les réticences de la jeune femme. Il n’entrerait
pas dans la maison avec les autres – venir en délégation risquait fort de
déplaire à Werner, et ils estimaient plus judicieux pour le moment de le
ménager – mais il resterait à proximité au cas où les choses tourneraient
mal. Nicholas ne voulait pas être tenu en dehors de l’affaire une seule
seconde.
Vers neuf heures et demie, ils partirent sur leurs
montures, le col de leurs manteaux relevé pour se protéger du vent. Le trajet
s’avéra laborieux, car Gabriel multiplia de nouveau les hésitations quant au
chemin à prendre, au point que Cassandra commença à douter sérieusement du sens
de l’orientation du jeune homme, à moins que celui-ci ne s’obstinât à faire
preuve de mauvaise volonté pour retarder leur arrivée. Finalement, la jeune
femme, qui se rappelait les grandes lignes de l’itinéraire, se décida à prendre
la tête de leur petit groupe.
Au bout d’un laps de temps qui leur parut une éternité,
le cottage se dessina enfin dans la pénombre brumeuse. Nicholas stoppa alors sa
monture et alla se poster à l’angle du chemin derrière un bosquet, la main sur
la crosse de son pistolet. Les autres mirent pied à terre et attachèrent les
rênes des chevaux au portail du cottage. Les bêtes piaffaient sous la morsure
du froid tandis qu’une buée blanche et compacte s’échappait de leurs naseaux
fumants.
Cassandra se dirigea vers la porte d’entrée d’un pas
résolu, à la différence de Gabriel qui se serait sans doute enfui en courant si
Julian ne l’avait fermement maintenu par le bras.
La jeune femme pénétra dans la maison plongée dans
l’obscurité. À l’évidence, Charles Werner n’était pas encore arrivé. Julian se
disposait à la suivre à l’intérieur lorsque Gabriel s’arrêta net devant le
seuil, le souffle court. Étonné, Julian se tourna vers lui.
— Que
se passe-t-il ?
Il savait
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