Le Cercle du Phénix
escorte au moment de leur arrivée. Son visage était menaçant, et sa main
jouait nerveusement avec la crosse de son arme. Il brûlait certainement d’en
découdre avec la responsable de la mort de son père, mais il était réduit à
l’impuissance par la supériorité numérique des hommes du Cercle.
Cassandra se retourna brusquement vers la porte, en
proie à un remords mêlé de pitié. Werner avait échoué si près du but… Elle
porta la main à la poche de son manteau où se trouvait le carnet de cuir noir,
désormais inutile. La couverture était froide au toucher, et ce contact la fit
tressaillir.
Chapitre IV
Un silence de mort régnait dans la chambre de Julian. Assis sur le canapé
devant la cheminée, celui-ci n’avait pas esquissé un geste ni prononcé une
parole depuis leur retour au manoir voilà près d’une heure. Terriblement
oppressé, Gabriel s’était recroquevillé à l’extrémité opposée du sofa et ne le
quittait pas des yeux, se préparant au désastre imminent. Ses pensées ne
cessaient de tourbillonner dans sa tête, le torturant sans relâche.
Et voilà, tout était fini.
Il
avait perdu.
Rien de plus juste d’ailleurs, car il ne méritait pas une telle félicité.
Il n’était pas digne de Julian, il ne l’avait jamais été, il ne le serait
jamais : le poids de ses crimes pesait trop lourd sur ses épaules, et les
souillures de son corps et de son âme ne pouvaient être effacées.
Il
s’attendait à ce dénouement, et pourtant il le subissait de plein fouet, comme
un violent coup de poing qui l’aurait laissé groggy. Peut-être, contre toute
raison, avait-il espéré… non, c’était ridicule, et présomptueux de sa part.
Qu’avait dit Charles Werner déjà ? « Au fond de toi, tu as toujours
su que cette relation était vouée à l’échec. » Il avait raison, bien sûr.
Comment aurait-il pu en être autrement ?
Sa rencontre avec Julian l’avait plongé dans une crainte constante, la
crainte que tout s’arrête brusquement. Le matin qui avait suivi leur première
nuit ensemble, l’angoisse lui avait vrillé le cœur à son réveil. Il n’avait pas
osé ouvrir les yeux immédiatement, terrifié à l’idée que Julian pût ne plus
être là, anéanti par la pensée de se réveiller seul dans la triste mansarde.
L’incertitude
devenant intolérable, il s’était résigné à affronter la réalité. Lentement,
très lentement, il avait levé ses paupières, redoutant de découvrir que toute
la nuit n’avait été qu’un rêve.
Mais Julian était bien là, endormi près de lui.
Une sensation inconnue avait alors inondé le jeune homme. Une
merveilleuse sensation de soulagement et de bien-être, si extraordinaire qu’il
en avait eu le souffle coupé. Mais ce prodigieux éclat de bonheur s’était rapidement
brisé, et il n’avait cessé depuis de vivre dans la peur de perdre Julian. À
chaque fois que celui-ci le quittait, il s’imaginait ne jamais le revoir, et à
chaque fois il était étonné de le voir réapparaître et de bénéficier ainsi d’un
sursis supplémentaire. Il ne faisait cependant aucun doute qu’un jour prochain
Julian se détournerait de lui pour de bon.
Et voilà, ce jour était finalement arrivé.
Gabriel serra les poings. Ses ongles s’enfoncèrent dans ses paumes
jusqu’au sang, mais il ne sentit pas la douleur, trop occupé qu’il était à
s’efforcer de ne pas pleurer. C’était étrange, il avait vécu sans émotions
pendant des années, et aujourd’hui il devait se contraindre à les refouler.
Qu’allait-il devenir maintenant ? Comment pourrait-il continuer à
vivre sans Julian ? La perspective de retomber dans la solitude qui avait
été si longtemps la sienne lui était insoutenable. Sa rencontre avec Julian
était la première bonne chose qui lui soit arrivée dans l’existence. Grâce à
lui, il avait pu avoir une brève vision du paradis avant d’en être chassé.
L’épreuve était douloureuse, et cruelle, mais il n’avait pas le droit d’en
vouloir à Julian, car c’était lui, Gabriel, qui n’était pas à sa place dans cet
éden. Julian avait essayé de l’aider, mais certains péchés ne pouvaient être
pardonnés, même par le cœur le plus généreux. Par sa faute, Julian se sentait
offensé, humilié, peut-être même sali. Comment l’en blâmer ?
À l’autre
bout du canapé, Julian ébaucha soudain un mouvement vers lui, et son cœur cessa
de battre. Tétanisé, il se
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