Le Cercle du Phénix

joie de nous éclairer sur le
passé de Gabriel.
    —  Oh…
j’imagine que ce ne devait pas être très reluisant. Pauvre Gabriel…,
ajouta-t-il d’une voix pensive. Il m’a l’air d’un garçon qui n’a jamais eu
beaucoup de chance dans la vie. Je dois être fou, mais je ne peux m’empêcher de
le plaindre en dépit de ses crimes.
    —  Il
me fait aussi cette impression, acquiesça Cassandra. Quelque chose en lui émeut
profondément.
    Andrew hocha la tête.
    —  Toi
aussi tu paraissais bouleversée à ton retour. À cause de ta sœur ?
    Nulle curiosité indiscrète chez lui. Cassandra ne lut dans son regard
qu’un sincère désir de la réconforter qui la toucha au-delà de toute
expression. Troublée, elle s’appuya contre le manteau de la cheminée et fixa
distraitement les braises encore rougeoyantes dans l’âtre.
    —  J’ai
réalisé une chose importante cette nuit, confia-t-elle d’une voix à peine plus
haute qu’un murmure. J’ai réalisé…
    Cassandra releva le menton dans un geste de défi.
    —  J’ai
réalisé que je l’aimais… malgré tout.
    Très pâle, elle prit une forte inspiration avant de poursuivre.
    —  Aussi
loin que remontent mes souvenirs, nous avons toujours été ensemble. Nous
errions sans attaches, sans foyer. Je ne me rappelle pas de mes parents, ni
d’aucun autre membre de ma famille. Juste Angelia… Alors, je l’aime, malgré ce
qu’elle est…
    Sa voix se brisa, et elle cacha son visage dans ses mains. Compatissant,
Andrew effleura du doigt la joue de la jeune femme.
    —  Tu
n’as pas à culpabiliser, voyons. Tes sentiments sont tout à fait naturels.
Quels que soient ses crimes, Angelia reste ta sœur.
    Il se tenait si près d’elle à présent qu’elle pouvait sentir la chaleur
de son corps et son souffle sur sa peau. La lumière des lampes les enveloppait
dans un halo rassurant qui les isolait du monde. En l’espace d’une seconde,
sans que rien ne l’eût laissé prévoir, elle se retrouva blottie dans ses bras,
le cœur en totale déraison. Puis leurs lèvres se joignirent en un long et
délicieux baiser.
    Soudain,
le corps d’Andrew se contracta comme sous l’effet d’une violente douleur, et il
desserra son étreinte. Cassandra et lui se dévisagèrent, haletants et
désorientés ; l’intensité du moment les avait pris de court tous les deux.
    Andrew
fut le premier à reprendre ses esprits. L’air paniqué, il recula vers la porte.
    —  Je…
nous n’aurions pas dû faire cela…
    Le retour à la réalité fut brutal pour Cassandra. Abasourdie, elle le
contempla comme s’il était devenu fou.
    —  Quoi ?
    —  Oublions
ce qui vient de se passer, cela vaut mieux, lâcha-t-il d’une voix fébrile.
Bonne nuit.
    Et il sortit précipitamment de la bibliothèque. Cassandra, stupéfaite,
entendit ses pas résonner dans le couloir dallé et l’escalier, puis un silence
assourdissant engloutit le manoir.

Chapitre V
    Cassandra galopait depuis des heures dans le parc du manoir. Peine
perdue : elle ne parvenait pas à s’affranchir des inquiétudes qui la
tenaillaient depuis les événements de la nuit.
    Le
souvenir d’Angelia continuait à l’obséder, et, comme si cela ne suffisait pas,
l’étrange attitude d’Andrew l’avait complètement désarçonnée. Elle n’arrivait
pas à comprendre pourquoi celui-ci l’avait repoussée. Se pouvait-il qu’elle se
soit fourvoyée sur la nature des sentiments qu’il lui portait ? Elle avait
toujours tenu pour acquis qu’Andrew était amoureux d’elle, mais elle réalisait
maintenant à sa grande honte que cette conviction n’était peut-être que le
fruit d’un orgueil déplacé. Son cœur se serra douloureusement à cette
pensée ; l’idée qu’Andrew pût ne rien éprouver à son endroit l’ébranlait à
un point qui la surprenait elle-même, comme si des années de confortable
certitude s’effondraient d’un coup, la laissant tremblante et égarée.
    Une
alternative consolante traversa son esprit. Peut-être Andrew l’aimait-il, après
tout. Simplement, guidé par sa fierté, il avait voulu la punir de
l’indifférence qu’elle lui avait manifestée durant si longtemps.
    Non,
cela ne tenait pas debout. D’abord, ce type de comportement ne ressemblait en
rien à Andrew, et puis son visage ne reflétait pas une blessure d’orgueil quand
il l’avait rejetée, seulement de la crainte ; la manière dont il avait
quitté la bibliothèque ressemblait d’ailleurs