Le Cercle du Phénix
fort à une fuite.
Alors… pourquoi ?
Perplexe, Cassandra regagna le manoir au galop. Elle mit pied à terre
dans l’allée en gravier, confia les rênes du cheval au palefrenier venu à sa
rencontre et pénétra dans le hall. D’un geste nerveux de la main, elle
épousseta sa tenue d’amazone bleu roi, puis entra dans le grand salon. Elle
n’avait pas à redouter d’y trouver Andrew puisque celui-ci était parti de bonne
heure le matin pour Londres. En revanche, Jeremy, vêtu de son éternel manteau à
pèlerine râpé, l’attendait près du feu en se balançant d’un pied sur l’autre,
l’air très agité.
— Oh,
M. Shaw, il s’est passé bien des choses en votre absence, déclara
Cassandra en posant son chapeau d’écuyère, semblable à un haut-de-forme, sur un
guéridon près de la porte.
— Si
vous comptez m’annoncer la mort de Charles Werner, je suis déjà au courant,
répondit Jeremy en agitant plusieurs journaux qu’il tenait à la main. La
nouvelle est dans les éditions du matin.
Cassandra s’approcha de lui, intriguée, et prit un des journaux qu’elle
feuilleta. Un titre en grosses lettres attira aussitôt son attention :
Meurtre crapuleux au cœur de la Cité
Aux alentours d’une heure trente, ce matin, près de l’église
Saint-Clément, le policier de ronde a trouvé un gentleman qui gisait étendu
face contre terre. Le malheureux était mort, tué de deux coups de couteau dans
la poitrine. Le corps a pu être rapidement identifié : il s’agit de
M. Charles Werner, directeur de la banque Russell, sise dans King William
Street. Le mobile de ce sordide assassinat était probablement le vol, car la
montre et le portefeuille de l’infortuné gentleman n’ont pu être retrouvés.
Cassandra leva les yeux vers Jeremy qui affichait une expression
dubitative.
— Il
a travaillé tard et a été la cible d’un voleur en sortant de sa banque, point
final. Tout cela est d’une simplicité biblique, et cependant j’ai peine à
croire que les choses se soient réellement passées ainsi.
Il jeta un coup d’œil interrogateur à Cassandra afin qu’elle confirme son
intuition. La jeune femme hocha la tête et lui relata les événements de la
nuit.
— Les
hommes de main de Lady Killinton se sont probablement débarrassés du corps de
Werner dans la Cité pour ne pas éveiller les soupçons, et ils se sont arrangés
pour faire croire à un banal larcin qui aurait mal tourné.
— Quoi
qu’il en soit, conclut Jeremy d’un ton féroce, la mort de Werner est une
excellente nouvelle, puisqu’elle signe la fin du Cercle du Phénix. C’est
presque trop beau pour être vrai.
Le visage de Cassandra s’assombrit.
— Sans
doute, mais le véritable cerveau du Cercle est toujours en vie.
— Lady
Killinton ? souffla Jeremy sans chercher à dissimuler son incrédulité.
— Bien
sûr. Ne la sous-estimez pas, M. Shaw, elle est redoutable, et…
Elle s’interrompit car Gabriel venait d’apparaître dans l’embrasure de la
porte, l’air complètement perdu. Il poussa un soupir de soulagement en voyant
Cassandra.
— Je
vous cherchais, murmura-t-il. J’ai un service à vous demander.
Jeremy se leva d’un bond, irrité par cette intrusion.
— Je
m’en vais, grogna-t-il, et il quitta la pièce sans même jeter un regard à
Gabriel.
Cassandra soupira et se tourna vers le jeune homme.
— En
quoi puis-je vous être utile ?
Gabriel s’approcha de la cheminée et son regard tomba sur le journal que
Cassandra tenait encore à la main. Sans un mot, elle le lui tendit, ouvert à la
page évoquant l’assassinat de Charles Werner. Gabriel parcourut l’article sans
sourciller. Son visage n’exprimait aucune émotion, à croire que Werner n’avait
été pour lui qu’un parfait étranger. Cependant, arrivé au terme de sa lecture,
il releva les yeux vers Cassandra et déclara contre toute attente :
— Les
obsèques ont lieu jeudi après-midi. J’aimerais y aller.
Déconcertée, Cassandra ne sut que répondre. Pourquoi diable ce garçon
souhaitait-il se rendre à l’enterrement de son tortionnaire ? Pas pour lui
rendre un dernier hommage tout de même ? À sa place, elle n’aurait éprouvé
qu’aversion et rancune.
— Quelqu’un
pourrait-il m’y emmener ? ajouta le jeune homme après un silence.
— Bien
sûr, acquiesça Cassandra, revenue de sa surprise. Je tiendrai une voiture à
votre disposition, et un de mes
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