Le Cercle du Phénix
suppliant tandis qu’il prenait la main de Julian.
— Je
n’en ai pas l’intention, le rassura celui-ci, submergé par le remords. Tu es
libre de faire ce que bon te semble.
Il ne comprenait pas l’attitude de Gabriel, mais il avait dès leur
première rencontre décidé de lui faire confiance, et il se refusait à changer
de ligne de conduite.
— Merci,
murmura Gabriel en lui offrant un sourire radieux.
Ce fut sa récompense.
Ils descendirent ensemble et Julian regarda s’éloigner la voiture qui
emportait Gabriel vers Londres. Il se sentait oppressé, comme si son amant le
quittait pour toujours. À pas lents, il regagna le manoir. Sur le palier du
premier étage, il croisa Cassandra, absorbée dans la contemplation d’une toile
du Caravage, La Mort de la Vierge, accrochée à la
place d’honneur. Elle se tourna vers lui, un léger sourire aux lèvres.
— J’aime
passionnément ce tableau, déclara-t-elle avec chaleur. Je ne vous remercierai
jamais assez de me l’avoir offert.
— Vous
en aviez tellement envie. Au moins n’avez-vous pas eu à sortir des limites de
la légalité pour l’obtenir !
Le sourire de Cassandra s’élargit. Et pour cause, c’était ce tableau
qu’elle convoitait lorsqu’elle s’était introduite par effraction chez Julian
quatre ans plus tôt. Non seulement celui-ci ne l’avait pas livrée à la police,
mais il avait poussé la générosité jusqu’à lui faire présent de la toile au
moment de son départ du château.
Une
certaine gêne s’insinua soudain sur le visage de la jeune femme, et elle
changea brutalement de sujet.
— J’ai
prêté mon attelage à Gabriel pour qu’il puisse se rendre à l’enterrement de
Werner. J’espère que cela ne vous contrarie pas.
Julian fronça les sourcils.
— Il
aurait pu utiliser le mien, mais je crois qu’il préférait m’informer au dernier
moment de son projet. Il devait se douter que je ne ferais pas montre d’un
grand enthousiasme.
— Se
trompait-il ?
Julian pivota vers Cassandra, la mine grave.
— Non.
Je me suis même mis en colère au début, ce qui était stupide de ma part :
il est illusoire de penser qu’on peut contrôler les sentiments des gens.
J’ignore pourquoi Gabriel voulait aller aux obsèques d’un homme qui lui a fait
tant de mal, mais il faut accepter l’idée que l’on ne peut pas tout savoir des
personnes que l’on aime. C’est déchirant, mais inévitable. On peut juste faire
confiance. C’est un risque que l’on choisit de prendre… ou pas.
Il fixa Cassandra d’un air entendu.
— J’ai
décidé de prendre ce risque. Peut-être devriez-vous en faire autant.
La jeune femme rougit imperceptiblement et détourna le regard.
— Je
ne vois pas ce que vous voulez dire, affirma-t-elle d’un ton dégagé.
Une lueur amusée brilla dans les yeux de Julian.
— Ne
le prenez pas mal, Cassandra, mais vous avez une sérieuse tendance à vous
voiler la face. À l’époque de notre rencontre, vous m’avez parlé d’un homme qui
occupait une place essentielle dans votre vie, un homme pour qui vous
accepteriez de vous ranger s’il en exprimait le souhait… C’est d’ailleurs ce
qui s’est passé, n’est-ce pas ?
Cassandra hocha doucement la tête.
— Mon
dernier cambriolage a mal tourné. J’ai été blessée gravement et ne suis
parvenue à m’enfuir que de justesse. C’est Andrew qui m’a soignée. Il était si
inquiet pour moi qu’il m’a fait jurer de ne jamais recommencer. Je n’ai pas eu
le cœur de le décevoir : j’ai promis de renoncer à mes penchants criminels
et de rentrer dans le droit chemin, et j’ai tenu parole. Je n’ai pas failli
depuis ce jour… à deux exceptions près cependant : l’horloge à eau de
Cylenius et le carnet de Werner. Mais c’était pour la bonne cause…
Elle esquissa un pâle sourire.
— Je
ne suis pas certaine d’avoir votre courage, Julian. La vérité est que j’ai
peur…
Julian posa sa main sur le bras de la jeune femme dans un geste
compatissant.
— Mieux
vaut affronter sa peur qu’éprouver des regrets, Cassandra. Faire confiance,
s’abandonner, abattre ses défenses, c’est douloureux, mais c’est aussi le
meilleur moyen de dire qu’on aime. Je ne prétends pas que ce soit facile,
ajouta-t-il avec une petite grimace, mais réfléchissez-y.
Il
fit alors volte-face et se dirigea vers sa chambre, laissant Cassandra songeuse
devant le tableau. Oui, elle avait peur
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