Le Cercle du Phénix
d’admettre ses sentiments, mais elle
était aussi ébranlée par les révélations de Nicholas. Andrew lui inspirait une
confiance aveugle, et cependant elle devait admettre qu’il ne se montrait pas
entièrement franc avec elle.
Cassandra ne savait plus que penser.
*
Un vent mordant soufflait sur le parc et les premières gouttes d’une
pluie lourde cognaient contre les hautes fenêtres du salon. La nuit tombait, et
il faisait déjà très sombre dans la pièce que seul éclairait le feu dans
l’âtre.
Assise
près de la cheminée, Cassandra, nauséeuse, referma lentement le carnet de
Charles Werner. Trop préoccupée durant les derniers jours pour songer à y jeter
un coup d’œil, elle l’avait retrouvé par hasard dans sa table de chevet au
cours de l’après-midi. À l’issue d’une longue réflexion, et puisque cela ne
risquait plus de faire du tort à son propriétaire, elle s’était décidée à en
forcer la serrure.
Bien mal lui en avait pris.
À présent qu’elle connaissait le contenu du carnet, elle regrettait
amèrement sa curiosité. L’ouvrage qu’elle tenait entre les mains se révélait
être un véritable condensé de la perversion humaine. Werner avait collectionné
les très jeunes amants tout au long de sa vie en en tirant manifestement une
jouissance sans limite. Il s’était délecté à décrire dans ce carnet de luxure
les relations charnelles qu’il entretenait avec eux, au moyen d’une écœurante
abondance de détails et à grand renfort de dessins, voire de photographies. Les
pages s’égrenaient inexorablement, toutes plus sordides les unes que les
autres, dans un insoutenable et pathétique déballage de vice. C’était ignoble.
Il n’était pas étonnant qu’Angelia ait pu manœuvrer Werner à sa guise grâce à
ce carnet. Cet homme s’enorgueillissait de sa propre perversité, mais celle-ci
s’était en définitive retournée contre lui.
Cassandra
se figea soudain, horrifiée. Silencieux comme un chat, Gabriel, de retour de
Londres, venait de pénétrer dans le salon. Elle fut saisie de panique à l’idée
qu’il voie le livre, car Gabriel était en quelque sorte le héros de ce carnet
maudit. Faisant montre d’une répugnante fascination à son égard, Werner ne se
lassait pas de l’évoquer au fil des pages, accumulant les descriptions les plus
scabreuses. Cassandra comprenait mieux pourquoi le jeune homme avait
désespérément tenté de s’emparer du carnet : la pensée que Julian pût
découvrir les humiliations et la dégradation dont il avait été victime devait
le rendre malade. Elle aurait réagi exactement de la même façon à sa place.
Il
était trop tard néanmoins pour cacher le livre. En l’apercevant sur les genoux
de Cassandra, le jeune homme se statufia. Nul doute qu’il l’avait reconnu au
premier coup d’œil.
Lentement,
comme hypnotisé, il s’approcha de Cassandra et lui prit le carnet des mains.
Pétrifiée, celle-ci ne put ébaucher le moindre geste pour l’en empêcher. D’une
main tremblante, Gabriel feuilleta les pages et pâlit atrocement à la vue de
certaines d’entre elles. Cassandra aurait voulu le supplier d’arrêter de se
torturer, mais aucun son ne filtra de sa gorge. Incapable de le regarder en
face, les minutes qui suivirent lui parurent une éternité.
Enfin,
Gabriel referma le carnet d’un coup sec. Livide, il se dirigea d’un pas
chancelant vers la cheminée et demeura un instant immobile à contempler le feu.
Puis il se mit à arracher rageusement les pages par poignées avant de les jeter
dans les braises qui rougissaient dans l’âtre. Il les regarda se consumer
jusqu’à la dernière, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des cendres du livre
infâme.
Chapitre VII
La brume grignotait sournoisement la pelouse du parc, se rapprochant du
manoir Jamiston qu’elle n’allait pas tarder à emprisonner au creux de sa main
blanche.
Sur
le pas de la porte, grelottant de froid et d’appréhension, Andrew hésitait à
frapper. La perspective d’être confronté à Cassandra, qu’il n’avait pas revue
depuis le baiser qu’ils avaient échangé voilà cinq jours, le remplissait de
crainte. Il savait que la jeune femme s’était rendue à plusieurs reprises à
Londres pour lui parler, en vain puisqu’à chaque fois il était absent de son
domicile. Il ne pouvait fuir plus longtemps sans susciter de légitimes
interrogations. Son étrange conduite – la manière dont il
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