Le Cercle du Phénix
se retourna lentement.
— Vous
avez raison, dit-elle à voix basse. Pour le véritable alchimiste, le travail ne
va pas sans la prière. La révélation du secret matériel de l’Œuvre est un don
de Dieu, d’où le nom qui est parfois donné à l’alchimie d’Art sacré, ou
sacerdotal. Elle réalise ainsi l’union de la création et du créateur, de la
science et de la religion, de Dieu et de la nature…
À la surprise de Julian, Dolem poussa un soupir à fendre l’âme. Toute
trace de condescendance avait disparu de sa voix lorsqu’elle reprit la parole.
Seule une immense tristesse l’habitait à présent.
— Je
crois que c’est là la raison de mon échec. Durant des siècles, j’ai tenté de
fabriquer la pierre philosophale, et je n’y suis jamais parvenue en dépit de toutes
les connaissances théoriques que j’ai pu accumuler. La foi est indispensable
pour réussir le Grand Œuvre, mais le fait est que c’est un sentiment que
j’ignore, tout comme le besoin de prier m’est étranger. Je ne suis tout
simplement pas assez humaine pour être digne de recevoir l’appui de Dieu dans
ma tâche…
Un sourire las étira ses lèvres pâles. Son échec semblait l’affecter
profondément, ce qui ne manqua pas de troubler Julian. Celui-ci réfléchit
quelques secondes tout en examinant un masque de verre posé sur la table et
destiné à protéger le visage de l’alchimiste durant la cuisson de la matière.
— J’ai
du mal à comprendre, dit-il enfin. Vous possédez la richesse et l’immortalité,
les deux motivations principales des hommes dans leur quête de la pierre
philosophale. Pourquoi tentez-vous de la fabriquer ? Qu’espérez-vous en
obtenir que vous n’ayez déjà ?
— L’immortalité…,
répéta Dolem en écho, le regard lointain. Vous faites erreur, être immortelle
implique d’être humaine à la base, or je ne possède qu’un simulacre de vie, je
ne suis qu’une pâle copie d’être humain, une poupée sans âme…
Une soudaine rougeur monta à ses joues et elle s’anima, en proie à une
folle excitation.
— La
pierre philosophale transforme les métaux en or, guérit rapidement n’importe
quelle maladie et agit sur les plantes en les faisant croître en quelques
heures. Ces trois propriétés n’en constituent qu’une seule en réalité : le
renforcement de l’activité vitale. La pierre philosophale est une condensation
énergique de la vie dans une petite quantité de matière, et elle agit comme un
ferment sur les corps en présence desquels on la met. Un peu de pierre suffit
pour développer la vie contenue dans un corps quelconque.
La voix de Dolem avait monté d’une octave et résonnait, aiguë, aux
oreilles de son visiteur.
— Comprenez-vous
ce que cela signifie ? La pierre, c’est la Vie ! La Vie ! Voilà
pourquoi je la désire tant !
Un silence incrédule lui fit écho, puis Julian avança prudemment :
— Si
je comprends bien, vous ne voulez plus être immortelle. Vous voulez vivre et
mourir comme tout un chacun, c’est bien cela ?
Dolem retrouva comme par miracle sa sérénité coutumière.
— Exactement,
répondit-elle d’un ton froid.
— Mais
pourquoi désirez-vous tellement devenir humaine ?
— Pour
la même raison peut-être que les hommes veulent devenir immortels, repartit
Dolem avec calme.
Julian eut beau méditer cette réponse sibylline, sa signification
s’obstina à lui échapper.
— Voici
la raison pour laquelle je cherche désespérément à obtenir la pierre
philosophale, conclut Dolem dans un murmure. Votre curiosité est-elle
satisfaite à présent ?
— Mais
Cylenius, votre créateur, ne vous a-t-il pas révélé le secret de la fabrication
de la pierre ? interrogea Julian sans répondre à sa question.
Le regard de l’homonculus se voila et elle eut un petit rire désabusé.
— À ses
yeux, je n’étais qu’une marionnette élaborée dont la conception le remplissait
d’orgueil, lâcha-t-elle avec amertume. Jamais il ne m’a considéré comme un
disciple digne de se voir enseigner les arcanes du Grand Œuvre.
— Et
cependant, il a fait de vous la gardienne de la pierre philosophale, objecta
Julian. Il se fiait à votre jugement puisqu’il vous a confié son bien le plus
précieux. N’est-ce pas là une extraordinaire marque de confiance ?
Dolem le contempla avec stupéfaction, comme si elle voyait les choses
sous cet angle pour la première fois, puis une
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