Le Cercle du Phénix
l’existence
défie à un degré jamais atteint auparavant les lois de la nature.
— Parleriez-vous
de moi ? Je crains que vous ne me donniez trop d’importance, se gaussa
Dolem. À qui donc croyez-vous avoir affaire en réalité ?
— À un
homonculus, repartit calmement Julian.
Le sourire de Dolem s’élargit et elle s’effaça pour laisser entrer son
visiteur dans le hall carrelé de noir et de blanc.
— Un
homonculus ? Qu’est-ce donc ?
— Un
être humain créé artificiellement, répondit Julian sans la quitter des yeux,
comme vous ne pouvez manquer de le savoir. Dans leur orgueil, les alchimistes
crurent pouvoir égaler Dieu en créant de toutes pièces des êtres animés. Selon
la légende, Albert le Grand aurait construit un automate en bois auquel il
aurait donné la vie par de puissantes conjurations. Paracelse alla encore plus
loin et prétendit créer un être vivant en chair et en os, l’homonculus, à
partir de la seule semence masculine enfermée dans un alambic et nourrie de
sang humain.
Dolem ferma les yeux et récita dans un intense murmure :
— « Renfermez
pendant quarante jours, dans un alambic, de la liqueur spermatique
d’homme ; qu’elle s’y putréfie jusqu’à ce qu’elle commence à vivre et à se
mouvoir. Après ce temps, il apparaîtra une forme semblable à celle d’un homme,
mais transparente et presque sans substance. Si, après cela, on nourrit tous
les jours ce jeune produit, prudemment et soigneusement, avec du sang humain et
qu’on le conserve pendant quarante semaines à une chaleur constamment égale à
celle du ventre d’un cheval, ce produit devient un vrai et vivant enfant, avec
tous ses membres, comme celui qui est né de la femme, et seulement beaucoup
plus petit ».
Elle se tut et rouvrit les yeux.
— Un
extrait de De natura rerum, le fameux traité de Paracelse dans lequel il
décrit le procédé permettant de concevoir un homonculus. La paternité de ce
miracle ne lui revient pas cependant, car Cylenius y était parvenu longtemps
avant lui…
— C’était
donc vrai, souffla Julian, sidéré par la confirmation de son hypothèse. Vous
êtes un homonculus, et Cylenius est votre… créateur.
Les yeux écarquillés, il fixait la voyante avec autant d’effarement que
si elle s’était soudain mise à danser le menuet au milieu du hall. Il avait
espéré qu’elle démentirait son assertion, qu’elle se moquerait de lui, mais ses
espoirs étaient déçus.
Dolem
souriait toujours, d’un sourire curieusement teinté de soulagement.
— Comment
avez-vous deviné ?
— Grâce
à deux parchemins cryptés que Cylenius avait dissimulés avec les Triangles de
l’Eau et du Feu. Je les ai déchiffrés, mais leur signification demeurait
obscure. En vérité, ils recelaient un second message, caché sous un autre code.
Ce nouveau texte décrivait les étapes d’une singulière et inquiétante expérience :
la fabrication d’un être humain en dehors du processus naturel. Aussi
incroyable que cela puisse paraître, Cylenius prétendait avoir mené à bien
cette expérience et conçu une créature d’une perfection sans taches, qu’il
appelait le « cinquième élément ». Cette créature, une femme alliant
une beauté surnaturelle à une intelligence hors du commun, possédait le don de
voir le passé et l’avenir, ainsi que la capacité de lire dans le cœur des
hommes. Le nom de cette immortelle était Dolem…
Celle-ci hocha la tête.
— Cylenius
était très espiègle, il adorait brouiller les pistes, plus encore que ne le
voulait la tradition. Votre sagacité mérite une récompense. Suivez-moi, je vais
vous montrer quelque chose d’unique.
Elle se dirigea vers un escalier qui menait au sous-sol, et Julian lui
emboîta le pas, tiraillé entre curiosité et appréhension, jusqu’à une porte
massive qu’elle ouvrit. Ils pénétrèrent alors dans une pièce de vastes
dimensions, sombre mais bien aérée, propre et parfaitement en ordre.
— Mon
laboratoire, annonça laconiquement Dolem.
— Situé
comme il se doit à l’abri des regards indiscrets, compléta Julian en englobant
la salle d’un regard captivé.
Face à la porte, gravée au stylet dans la pierre tendre, se lisait en
caractères gothiques la pensée fondée sur le dogme de l’unité qui résumait
toute la philosophie de l’alchimie : « Omnia ab uno et in unum
omnia. » Des étagères fixées aux murs supportaient des
fioles et
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