Le Cercle du Phénix
avait l’impression
d’être vivant.
Quelque chose avait changé dans sa vie, même s’il aurait
été bien incapable de préciser quoi, et ce sentiment le troublait.
Dehors, la pluie continuait à tomber, monotone et sans
but. Les rumeurs de Londres ne l’atteindraient pas ce soir.
Chapitre VII
Le manoir Jamiston était une vaste et antique
construction datant de l’ère des Plantagenêt, et entièrement construite en
pierre dans le plus pur style gothique. Cassandra, qui l’avait achetée cinq ans
plus tôt, en était tombée amoureuse au premier regard. Les murs épais et
massifs, les hautes fenêtres ogivales et leurs vitraux richement coloriés, les
voûtes dont les nervures à liernes et tiercerons se déployaient en éventail, le
style très orné des façades sur lesquelles des niches et des arcs en accolades formaient
de véritables dentelles de pierre… chaque détail de cette architecture sombre
et grandiose l’avait plongée dans un ravissement qui ne s’était jamais
affaibli.
Le manoir comprenait deux ailes dont chacune était
enveloppée d’un perron à balustrade, tandis que le corps de logis était dominé
par une tour octogonale crénelée qui conférait un aspect à la fois romantique
et guerrier à l’édifice. Autour s’étendait un parc soigneusement entretenu et
sillonné d’allées de pierre qui enfermaient de superbes jardins à l’anglaise.
Au sud se découpait sur l’horizon la masse compacte d’une forêt dont plusieurs
parcelles appartenaient au domaine Jamiston, tandis qu’au nord-est, dissimulés
par le paysage vallonné, se déployaient les premiers faubourgs de Londres. La
proximité du manoir avec la capitale n’était pas le moindre de ses avantages.
Lorsqu’il se présenta comme convenu le lendemain, le
cheveu rebelle et la mise encore plus débraillée que la veille, mais arborant
toujours un sourire épanoui, Jeremy Shaw se montra vivement impressionné par le
lieu. Il s’extasia pendant dix bonnes minutes sur le porche gothique aussi
vaste que celui d’une église, puis sur le plafond à rinceaux en chêne du hall
central, et enfin sur le monumental escalier qui se dédoublait au milieu,
s’élevant de part et d’autre d’un palier à balustrade.
Cassandra parvint en définitive à le traîner dans le
salon, où les attendaient déjà les Ward et Nicholas. Megan avait harcelé son
frère jusqu’à ce que celui-ci, à bout de forces et d’arguments, lui permît de
l’accompagner. Cette aventure constituait pour elle une agréable diversion à
ses ennuyeuses activités traditionnelles, telles que broderie, leçons de
musique et visites au pasteur, et elle comptait bien faire en sorte de n’en
manquer aucune péripétie.
Dès que Stevens, le majordome tatoué, l’eut débarrassé
de son vieux manteau à pèlerine tout râpé, le journaliste entra dans le vif du
sujet.
— Avez-vous
entendu parler du Cercle du Phénix ?
Ses interlocuteurs se regardèrent avec étonnement.
— Le
Cercle du Phénix ? répéta Andrew. C’est une société criminelle, n’est-ce
pas ? Les journaux en parlent de temps à autre.
— Pas
aussi souvent qu’ils le pourraient toutefois. La police fait son possible pour
étouffer les méfaits du Cercle afin d’éviter la panique mais aussi de préserver
sa crédibilité.
— Quel
nom étrange pour une organisation criminelle, murmura Cassandra, songeuse. Je
me demande pourquoi cette appellation a été choisie.
Jeremy haussa les épaules en signe d’ignorance.
— Pas
la moindre idée. En tout cas, c’est en enquêtant sur le Cercle du Phénix que
j’ai été mis sur la piste du Soleil d’or car j’ai découvert que son obtention
constituait le prochain objectif de la société. Cette information m’a coûté
cher, croyez-moi, et désormais j’essaye d’en apprendre davantage, mais cette
affaire exige d’être menée avec la plus grande prudence.
Ils en étaient à ce point de la conversation quand
Stevens entra après avoir frappé.
— Miss
Jamiston, pardonnez-moi de vous déranger, mais Lord Ashcroft est ici.
Cassandra se leva prestement, interdite.
— Julian ?
Bonté divine, c’est aujourd’hui qu’il devait arriver ? Je l’avais
complètement oublié !
Jeremy paraissait de nouveau très impressionné.
— Un
véritable lord ? Je n’en ai encore jamais rencontré ! s’exclama-t-il,
ravi de l’aubaine.
Andrew pour sa part était loin de partager cet
enthousiasme.
Weitere Kostenlose Bücher