Le Cercle du Phénix
salon comme une lionne en cage, sa longue jupe fauve
balayant rageusement le sol à chacun de ses pas. Elle s’en voulait terriblement
de ne pas s’être montrée plus prudente. Elle avait sous-estimé la rapidité
d’action de l’ennemi, et son erreur allait peut-être leur coûter cher.
— Que
se passe-t-il ? s’inquiéta Andrew.
— On
m’a volé le Triangle, répondit Cassandra d’un ton sinistre.
— Qui
ça, « on » ?
En quelques phrases, elle leur relata les événements de
la veille.
— Ce
garçon était très habile. Et rapide aussi. En outre, il avait sur moi un
avantage décisif.
— Lequel ?
— Il
n’avait pas peur de mourir, martela-t-elle d’un air sombre.
— Un
adversaire redoutable en effet, conclut Nicholas. Peut-être est-ce également
lui qui a mis à sac la maison de Prince Street. Par bonheur, il nous reste un
Triangle et le Soleil d’or. Pour plus de sûreté, je les ai confiés hier au
coffre d’une banque.
Andrew, qui avait bien compris que son amie était
effroyablement vexée de s’être fait battre par un gamin, détourna la
conversation sur un autre sujet :
— Nicholas,
avez-vous obtenu des informations sur Jeremy Shaw ?
— Oui,
en effet, lança celui-ci, triomphant. Il est journaliste au London City News, une gazette dont je ne connaissais même pas
l’existence. À l’heure actuelle, il ne se trouve pas à Londres, mais son
rédacteur en chef m’a indiqué qu’il passerait au journal après-demain soir.
Nous n’avons donc plus qu’à prendre notre mal en patience, en espérant que
M. Shaw nous permette d’avancer dans notre enquête. En attendant,
Cassandra, laissez le docteur Ward examiner votre blessure.
*
Véritable quartier général de la presse londonienne,
Fleet Street résonnait de clameurs assourdissantes avec la sortie des éditions
des journaux du soir. Nicholas, Cassandra et Andrew se frayèrent laborieusement
un chemin à travers la foule des passants et des vendeurs qui agitaient des
exemplaires du Globe ou du Standard pour
atteindre l’immeuble abritant les locaux du London City News. Depuis la veille, ils brûlaient de curiosité. Pourquoi
Jeremy Shaw s’intéressait-il au Soleil d’or, et comment avait-il pu avoir vent
de son existence ?
Après avoir jeté un bref coup d’œil à la façade où
s’étalait en gigantesques lettres de feu dessinées par des flammes de gaz le
nom du quotidien, ils s’engouffrèrent d’un pas pressé dans le bâtiment,
montèrent au premier étage et débouchèrent dans une immense pièce défraîchie et
surpeuplée où flottait l’odeur indéfinissable mais caractéristique des salles
de rédaction, mélange de renfermé, de vieux cuir, de tabac et d’encre
d’imprimerie.
La rédaction du London City News était en effervescence. Les journalistes couraient en
tous sens, crayon et papier à la main, criant, s’interpellant, échangeant des
nouvelles. Tout le monde était visiblement très occupé, ce qui n’empêcha pas
plusieurs têtes de se tourner sur le passage de Cassandra, à la totale
indifférence de cette dernière.
Un commis leur indiqua le bureau de Jeremy Shaw,
facilement reconnaissable au prodigieux désordre qui y régnait. Lettres,
cartes, journaux, revues, horaires de chemins de fer,
imprimés de toutes sortes, livres, encre, plumes et crayons s’entassaient
pêle-mêle sur la table, formant de vertigineuses pyramides à l’équilibre
précaire.
— M.
Shaw ?
Une tête hirsute émergea de la pile de papiers dans
laquelle elle était ensevelie, l’air un peu ahuri. Le jeune homme à qui
s’adressait cette question, en plus d’être ébouriffé, avait une mise
passablement débraillée. Les poignets de sa chemise étaient tachés d’encre, de
même que son gilet jaune clair qui semblait avoir connu des jours meilleurs.
— Êtes-vous
Jeremy Shaw ? répéta Cassandra.
— C’est
moi-même, répondit-il avec un grand sourire. À qui ai-je l’honneur ?
Après les présentations d’usage, Cassandra exposa sans
détour le but de leur visite.
— Pourquoi
vous renseignez-vous sur le Soleil d’or ?
À ces mots, Jeremy ouvrit la bouche de stupeur. Il jeta furtivement des
regards inquiets autour de lui, et baissa la voix.
— Comment
êtes-vous au courant ? chuchota-t-il d’un ton méfiant.
— C’est
une longue histoire. Nous aimerions d’ailleurs en discuter avec vous, si vous
le permettez.
Le journaliste
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